Polymédication : Pourquoi les seniors sont-ils·elles concerné·e·s ?

« Il a été souvent remarqué, je crois, qu’une poule
n’était
 que le moyen qu’avait un œuf
de fabriquer un autre œuf
 »
Samuel Butler(1)

Introduction

Au niveau quantitatif, la polymédication se définit comme la prise quotidienne de plus de cinq médicaments différents par jour. La définition qualitative repose sur l’usage de médicaments non cliniquement indiqués ou d’associations de médicaments inappropriées. 

Certaines données révèlent que « 85 % des personnes de 75 ans et plus présentent au moins une pathologie et qu’en moyenne, sept molécules différentes leur sont délivrées au moins trois fois par an »(2). Cette prise conjuguée ne va pas toujours sans complications : on considère, pour les patient·e·s gériatriques, qu’environ une hospitalisation sur quatre « est liée de près ou de loin à un événement iatrogène(3) médicamenteux(4) ».

Il est donc courant que les seniors soient concerné·e·s par la polymédication. Dans le but de traiter les diverses affections et d’améliorer le pronostic, on leur rajoute des médicaments, ce qui est malheureusement associé « à une augmentation considérable du risque d’effets indésirables »(5).

Quand « médicament » ne rime pas avec « bonbon »

Plusieurs médicaments peuvent être à l’origine de problèmes du système digestif (nausées, perte d’appétit, saignement gastrique, diarrhée, constipation). D’autres peuvent avoir des effets sur l’état d’éveil et provoquer de la fatigue et de la somnolence. C’est le cas de certains antihistaminiques (médicaments contre l’allergie), somnifères et calmants (hypnotiques, sédatifs, anxiolytiques) et antidépresseurs. Ils diminuent la vigilance et les réflexes et présentent donc des risques potentiels lors de la conduite d’un véhicule. Ils augmentent également le risque de chute.

Enfin, il se peut qu’un médicament pris seul ne provoque pas l’effet secondaire en question mais que cet effet soit lié à la combinaison des médicaments. A ce moment-là, le problème est lié à la prise multiple.

Dans ce cadre, notre institution de régulation des médicaments, l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS) nous rappelle depuis des années qu’un médicament peut devenir inefficace voire dangereux pour la santé si nous l’utilisons sans respecter l’avis de notre médecin et de notre pharmacien·ne ou sans suivre les recommandations de la notice(6). L’AFMPS nous propose également d’autres clés pour nous aider à en faire bon usage :

  • Ne pas acheter de médicaments par internet hors du circuit légal ;
  • Eviter l’automédication avec des antidouleurs (dont certains sont en vente libre) ;
  • Contacter notre médecin/pharmacien·ne en cas d’apparition d’un effet indésirable(7)…

Il aurait fallu peut-être ajouter une autre clé dans cette liste : faire attention au cercle vicieux ! Car il arrive que des médicaments soient prescrits pour combattre les effets secondaires d’un autre (prescription en cascade).

Il faut savoir que la polymédication peut provoquer des syndromes gériatriques tels que la confusion et le délire. Les médecins donnent parfois des antipsychotiques pour contrecarrer ces symptômes et la situation ne fait que s’aggraver. On assiste alors à un phénomène où un nouveau médicament vient traiter des symptômes résultant des effets secondaires de molécules déjà prescrites. 

Qui serait donc à l’origine ? L’œuf ou la poule ? 

Vous l’aurez déjà compris, de nombreux facteurs peuvent être en cause de la polymédication. Parfois, elle peut être due au renouvellement d’ordonnances sans réévaluation du traitement : certain·e·s patient·e·s remettent régulièrement à leur généraliste une liste de médicaments dont la prescription doit être reproduite. La polymédication peut aussi être liée à la prise de médicaments sans ordonnance (automédication) en même temps que les médicaments prescrits. 

Elle peut être également le résultat des prescriptions exagérées ou inappropriées de certain·e·s prestataires ou d’un manque de communication entre eux·elles. En effet, la polymédication est parfois l’effet de la prescription de plusieurs médicaments par différent·e·s médecins non informé·e·s des autres traitements en cours. Sur ce point, la situation devrait s’améliorer avec la mise en place progressive de systèmes électroniques de partage des données médicales et pharmaceutiques.

Optimiser l’utilisation des médicaments 

Une chose est sure : plus le nombre de médicaments prescrits est élevé, plus il est compliqué d’éviter les interactions médicamenteuses et plus le respect des prescriptions s’avère difficile (mauvaise observance(8)). Plus la liste de médicaments est longue, plus il est facile de confondre les médicaments ou d’oublier de les prendre. 

Bien sûr, le but « n’est pas de supprimer tout accès des personnes âgées aux médicaments et de les priver ainsi des possibilités thérapeutiques visant à améliorer leur qualité de vie. Il s’agit plutôt d’éviter l’utilisation de médicaments ayant un faible intérêt pour le malade »(9). 

Il est donc question d’évaluer tant les bénéfices que les risques de chaque traitement, de choisir les prescriptions indispensables et d’essayer de réduire, voire de supprimer ce que l’on appelle « les médicaments de confort » (par exemple : les somnifères). Le choix de la meilleure intervention parmi les options existantes s’avère fondamentale. Et il va de soi que cette intervention doit être discutée entre médecin et patient·e, y compris les incertitudes sur le résultat attendu.  

Quelques réflexions en guise de conclusion 

Le renouvellement d’ordonnances sans réévaluation du traitement, l’automédication, le manque de communication entre les prestataires de soins, le fait de vouloir tout médicaliser, sont autant de facteurs qui peuvent être à l’origine de la polymédication. D’autres éléments que nous n’avons pas traités ici comme l’influence de l’industrie pharmaceutique ou la tendance à faire de la jeunesse un modèle obligé (jeunisme) sont également à prendre en compte et seraient, à eux seuls, l’objet de futures articles. 

Si ces éléments sont parfois liés aux conduites adoptées par les médecins en termes de prescription, il apparaît également que les seniors adoptent parfois « une attitude résignée en ce qui concerne la prise de médicaments »(10). Leur attitude est aussi à prendre en compte au moment où ils·elles deviennent patient·e·s… (trop patient·e·s ?). Car être soigné·e n’implique pas forcément de la patience ! 

Un changement de mentalité s’avère essentiel : consommer plus de médicaments ne veux pas dire nécessairement être « plus en santé ». Une prise de conscience non seulement des professionnel·le·s mais aussi des seniors et de leur entourage est donc nécessaire afin d’éviter l’entrée dans un cercle vicieux.  

Si nous demandions à notre médecin de revoir la liste de médicaments que nous prenons ?  Si nous achetions à la pharmacie moins de médicaments sans prescription ? Si nous étions plus exhaustif·ves au moment de décliner la liste de molécules que nous prenons ? Peut-être que nous éviterions de nous faire prescrire un médicament par un·e médecin, qui aurait ainsi une meilleure vision de notre parcours de santé. Si nous pratiquions moins « le renouvellement à l’aveugle » ? Or, si cette démarche nous est parfois proposée, il faut bien reconnaître que c’est parfois nous-mêmes qui faisons la démarche de (re)demander des médicaments auprès d’un·e prescripteur·trice qui n’ose pas toujours refuser. 

Nous attendons de notre médecin qu’il·elle nous montre toute la valeur qui nous est accordée. Il·elle est censé·é nous aider à nous exprimer en toute liberté et nous donner la place que nous méritons en tant que partenaires de soins. Impliquons-nous dans notre prise en charge. Insistons pour créer un réel partenariat avec lui·elle. Il est parfois possible d’adopter des solutions non pharmacologiques. Demandons-lui des informations. Et, pour finir, n’ayons pas peur de changer de médecin si le·la nôtre ne répond pas à nos attentes !

Mara Barreto

 1 Samuel BUTLER : écrivain britannique (1835-1902) auteur du roman satirique Erewhon. Citation en anglais :  “It has, I believe, been often remarked, that a hen is only an egg’s way of making another egg”. Life and Habit (1877).

2 HANON O. et Jeandel C. Prescriptions médicamenteuses adaptées aux personnes âgées. Le guide P.A.P.A., Frison Roche, 2017, p.11. 

3 Iatrogène (grec iatros, médecin) : se dit d’un trouble, d’une maladie provoqués par un acte médical ou par les médicaments, même en l’absence d’erreur du·de la médecin.

4 PIRE V. et al. Polymédication chez la personne âgée. Louvain Médical 2009 ; 128, 7 : 235-240. 

BELMIN J. et al. Gériatrie pour le praticien. 3è édition, Elsevier Masson, 2019, p.5.

6  AFMPS : Un médicament n’est pas un bonbon. Plus d’info sur : https://www.campagnesafmps.be/fr/un-medicament-nest-pas-un-bonbon

AFMPS : 12 clés pour un bon usage du médicament. Dépliant disponible sur : https://www.campagnesafmps.be/fr/un-medicament-nest-pas-un-bonbon

Observance : façon dont un·une patient·e suit, ou ne suit pas, les prescriptions médicales (par exemple : la dose et le rythme de prise d’un médicament).

9  BELMIN J. et al. Gériatrie pour le praticien. 3ème édition, Elsevier Masson, 2019, p.760.

10 Testachats.be. La polymédication chez les seniors : médicaments à volonté ? Communiqué de presse. 26 juillet 2010. Disponible sur : https://www.test-achats.be/action/espace-presse/communiques-de-presse/2010/la-polymedication-chez-les-seniors-medicaments-a-volonte

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