« je vieillis pour laisser la place »

Vieillir : « prendre de l’âge ; continuer à vivre alors qu’on est vieux » ; s’effacer pour laisser la place.

Laisser la place aux plus jeunes, au boulot, sur la piste de danse, à l’écran…

Laisser la place au tout virtuel ; du tout papier au tout numérique.

Laisser la place à un amour plus jeune dans le cœur de l’autre. Et la princesse Metternich de s’étrangler : « Je n’ai que quatre-vingts ans. Au nom de quoi voulez-vous me priver d’amour ? »

Laisser la place assise dans les transports en commun à celles et ceux que l’on juge vulnérables, faibles.

Laisser la place aux rides, aux cheveux gris, à la vue qui baisse, à la peau qui pend… Corps changeant soumis à l’intransigeance de notre critique intérieur et des injonctions prônant la jeunesse éternelle.

Laisser la place à la sagesse, élégante appellation de la vieillesse qui s’enlaidit.

Laisser la place à « ce foutu mot de perte, si obstinément associé à la vieillesse : (…) on perd patience, on perd le nord, (…) on perd ses lunettes, on perd la boule… »

Laisser la place au vieillissement, tant qu’il est actif, sain, productif, réussi. Vieillir sans devenir vieux.

Laisser la place à la solitude.

Laisser la place aux plus vaillants, sur les lits d’hôpitaux qui sont comptés. La faute aux politiques structurelles de réduction des dépenses de santé ; dilemme moral de hiérarchisation de la valeur de la vie de certains êtres humains sur d’autres.

Laisser la place à la mort comme horizon dernier. Expérience moins traumatisante que celle du vieillissement, de ce qu’il en paraît, dans nos sociétés occidentales.

« je vieillis pour laisser la place » à une vie mise sous respirateur artificiel, jusqu’à céder la place.

Mourir, c’est arrêter de vivre.

Vieillir, c’est… ?

Laisser la place à la contestation, à la révolte, en profitant d’être un peu en dehors de l’injonction à produire et reproduire l’ordre social.

Laisser la place « à beaucoup plus que ce que l’on perd : on gagne le détachement, une certaine sérénité, un je-m’en-foutisme jubilatoire, une joie des petits instants ».

Laisser la place, non pas au déclin, mais à des transformations, à des constantes renaissances.

Laisser la place à une exploration nouvelle de l’intimité des corps. Non, à la « disette du plaisir » !

Laisser la place aux vieillesses comme autant d’histoires personnelles vécues, vivantes et à vivre.

Laisser la place à la reconnaissance du rôle social des personnes vieilles : bénévolat, « préparation de repas, garde d’enfants (…), prêt ou don d’argent, bricolage, mise à disposition de logement pour les petits-enfants en attendant qu’ils trouvent une stabilité financière ». Et, faire que cette reconnaissance ne soit pas simplement un prix de remerciement pour bonne participation mais, réellement, une variable qui rapporte dans le système capitaliste actuel.

Laisser la place à une responsabilité collective à l’égard des personnes âgées vs une responsabilité individuelle écrasante et croissante.

Laisser la place à un nouveau regard, à un nouvel imaginaire.

Laisser la place à la vieillesse en tant que conscience renouvelée de l’existence : « La vieillesse comme un engagement vis-à-vis de soi-même de ne pas déroger à ce qu’on tente d’être. »

Elodie

Inspirations et sources :

– Le Robert, dictionnaire en ligne

– Revue Eduquer, « Osons parler vieillesse ! », n°179, juin 2023

– Magazine Agir par la culture, « L’âge, une catégorie politique ?! », n°64, printemps 2021

– « Vieillir » de la poétesse Cécile Coulon, 2024

– « La Voyageuse de nuit », Laure Adler, 2020

 

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