Dissections et autopsies – Petite balade dans leur histoire

Anatomie d’une autopsie

Commençons par définir ce qu’est une dissection. Il s’agit de l’ouverture d’un corps (animal ou végétal) selon un protocole défini. Dans l’enseignement, la dissection consiste à séparer et à individualiser les différentes parties d’un organisme pour en étudier sa forme, sa disposition et sa structure. Le mot, qui vient du latin « dissecare », signifie d’ailleurs « couper en deux ».

Certaines dissections ont un nom particulier, en fonction de l’objectif recherché ou de la procédure employée. C’est le cas de l’autopsie médicale, qui désigne la dissection et l’examen des parties d’un cadavre en vue de déterminer les causes du décès (cause principale, et causes indirectes s’il y a lieu), ainsi que de vérifier post mortem la validité d’un diagnostic. Le terme vient du grec « autopsía » (action de voir par soi-même).

Il existe également l’autopsie pédagogique, réalisée par les étudiants en médecine sur les corps d’individus ayant donné leur corps à la science, en vue d’apprendre l’anatomie humaine. Elle sert aussi à la formation des futurs chirurgiens invités à pratiquer des interventions qu’ils auront à répéter… sur les vivants.

Enfin, l’autopsie médico-légale (ou judiciaire) telle que pratiquée par un médecin légiste, est un examen obligatoire mis en œuvre dans les cas de mort violente ou de mort considérée comme suspecte (éléments anormaux ou indéterminés dans la cause du décès), sur demande de la justice

Les premières autopsies en cas de mort douteuse datent du XVIe siècle, sous l’impulsion de Charles V et de François 1er. Elles furent réalisées par des barbiers-chirurgiens[1].  Bien qu’à cette époque-là, ces derniers continuèrent à arracher des dents et à faire des saignés, ils n’étaient autorisés à pratiquer de grandes chirurgies que sur des cadavres.

De la révolution en Alexandrie à l’épidémie de peste noire

Durant l’Antiquité, le corps humain était sacré dans toutes les civilisations et sa dissection, interdite. L’argument étant le respect vis-à-vis des cadavres, il s’agissait également d’une énorme crainte : on pensait que le sang qui coulait était dangereux.

Une révolution scientifique et intellectuelle arriva au IIIe siècle en Egypte : Alexandrie devint un centre de recherche majeur de la civilisation hellénistique et autorisa la dissection humaine. Des centaines d’étudiants arrivèrent en masse de Grèce, de Syrie et d’Asie Mineure. On céda aux médecins non seulement des cadavres mais aussi des condamnés à mort. Parmi ces médecins, quelques-uns se rendirent célèbres. Ce fut le cas du grec Hérophile (330-260 av. J.-C), né à Chalcédoine en Asie Mineure. Il pratiqua librement en Alexandrie et étudia l’anatomie des nerfs, des vaisseaux (veines et artères), du cerveau et d’autres organes. Il aurait fait plus de 600 dissections sur des prisonniers vivants ; séances tenues parfois en public.

L’école d’Alexandrie resta une exception car ces travaux anatomiques furent ensuite rarement pratiqués pendant plusieurs siècles. Hors quelques suppliciés que l’Eglise autorisa à disséquer en Italie et en France entre le IXe et le XIIIe siècle, il fallut attendre l’épidémie de la peste noire[2] pour que la pratique se popularise.  En 1348, moins d’un an après le début de l’épidémie, Clément VI (4ème pape d’Avignon) autorisa l’autopsie publique des pestiférés afin de tenter de stopper le fléau. 

C’est ainsi que Guy de Chauliac (1298-1368), médecin auprès de la papauté d’Avignon et chirurgien, distingua la peste bubonique (formation de ganglions) de la forme pulmonaire. Il fut considéré comme le plus grand chirurgien du Moyen-Âge. Au contact des cadavres, il contracta à son tour la maladie, sans en mourir, pratiquant sur lui l’incision des bubons.

Un bruxellois révolutionna l’étude du corps humain

La Renaissance concerna presque toute l’Europe au XVIe siècle. Le cinquecento italien, au début du XVIe siècle, représenta sans doute son apogée en termes artistiques mais pas tellement en matière de dissections. En pleine période d’Inquisition, il fallait être d’aplomb pour aller disséquer des cadavres et ensuite, questionner les dogmes sur la connaissance du corps humain. Celui qui disséquait un corps risquait d’être condamné à mort et brûlé comme hérétique !

Toutefois, certains aventureux ne se contentaient pas d’examiner des chiens ou des chats et allaient alors exhumer quelques ossements aux cimetières. D’autres plus intrépides (et avides d’étudier le cadavre en entier) allaient voler la nuit les corps de ceux que l’Inquisition avait condamné et qui restaient pendus au gibet.

Né à Bruxelles et issu d’une famille flamande de médecins et de pharmaciens, André Vésale (1514-1564) demeura à Louvain chez son père (apothicaire de Marguerite d’Autriche) dans une maison située justement près d’un gibet. Après avoir décidé de suivre la tradition familiale, il partit à Paris dans les années 1530 pour étudier la médecine. Lassé par les cours d’anatomie qu’il suivait à l’université et qui se réduisaient à la lecture des textes d’auteurs anciens comme Galien (130-200), Vésale négocia avec des fossoyeurs des pièces de cadavres qu’il disséqua en cachette. Ses découvertes lui permirent de remettre en cause ces auteurs anciens, constatant des erreurs dans ces descriptions qui ne s’appliquaient pas à l’homme. En effet, du fait de l’interdiction de la dissection du corps humain dans la Rome antique, Galien disséquait des singes et transférait le modèle animal à l’homme.

Et l’anatomie devint un art…

Avec son diplôme de médecine en poche, Vésale décida de partir en Italie. En 1537 (à l’âge de 23 ans), il devint professeur d’anatomie à Padoue. On lui réserva des cadavres de condamnés pour réaliser des dissections publiques. Les dates d’exécution étaient fixées en fonction de son travail et, bien entendu, en tenant compte de la saison. L’hiver donnait plus de marge car le froid freinait la putréfaction. Effectuée l’hiver, une dissection durait habituellement quatre jours. On disséquait d’abord le bas-ventre, de putréfaction plus rapide, on continuait par le thorax (le cœur et les poumons), puis la tête (le cerveau) et enfin, les membres. Les ossements étaient ensuite rapatriés par les familles.

Vésale réalisa lui-même un grand nombre de schémas anatomiques détaillés et confia ses dessins à des artistes parmi lesquels se trouva Jan van Calcar, peintre flamand (1499-1545) qui réalisa des planches anatomiques de grande précision et qualité. En 1543, parut son grand traité d’anatomie De humani corporis fabrica, œuvre destinée tant aux médecins qu’aux artistes. Vésale fut considéré comme le plus grand anatomiste de son temps. Peu de temps après la publication, on lui proposa le poste honorifique de médecin impérial à la cour de Charles V à Bruxelles. Vingt ans plus tard, il se rendit en pèlerinage à Jérusalem. Lors du voyage de retour, son bateau fut naufrage et Vésale, victime du typhus, mourut à l’âge de 49 ans.

Jusqu’au XIXe siècle, la conservation des corps souleva des problèmes : il n’existait aucun procédé de conservation et les corps étaient vite inutilisables. Les progrès de la chimie aida à les résoudre un peu plus tard. Dans le but de pallier le manque de cadavres, on se servit entre-temps de la « céroplastie » pour fabriquer des modèles anatomiques. Cette discipline se développa en Italie en partenariat avec des artistes, et consista à faire un moulage d’une partie d’un cadavre (par exemple un viscère) et de le remplir avec de couches de cires colorées en fonction des éléments anatomiques (veines, artères, etc.).  

L’acte d’anatomie de 1832

Avant 1832 en Angleterre, l’exhumation de corps pour la dissection était un délit punissable : seuls les corps des criminels déjà exécutés pouvaient être légalement utilisés dans les dissections. La demande croissante en cadavres alimentait alors le trafic et entraînait l’exhumation clandestine. Les anatomistes faisaient appel à des « résurrectionnistes », trafiquants pour qui la mort devint une entreprise très lucrative. En échange de monnaie, ils  déterraient des cadavres et les livraient aux praticiens.  Certains commettaient également des meurtres pour pouvoir mieux répondre à la demande de leurs clients.

Le Parlement mit en place une Commission parlementaire sur la question qui conclut que la dissection était essentielle à l’étude de l’anatomie humaine et que les spécialistes devaient être autorisés à avoir accès aux corps des indigents. Cette décision fut accélérée par les meurtres de seize personnes commis à Edinbourg en 1828, avec pour seul mobile la vente des corps aux anatomistes. L’Acte d’anatomie, adopté au Parlement du Royaume-Uni en 1832, donna ainsi aux médecins un accès légal aux corps des défunts non réclamés par la famille, ainsi que des pauvres ayant trépassé dans les asiles.

Une fois l’Acte d’anatomie adopté, des insurrections éclatèrent, et des bâtiments des écoles de médecine furent ravagés. Certains trouvaient injuste que les corps des indigents soient disséqués sans consentement de la famille. Des personnes croyantes, opposées à la désacralisation du corps, enterrèrent même leurs morts dans des cercueils plombés pour éviter leur exhumation.   

Coup de balai dans les salles d’autopsie

Au début du XIXe siècle, la situation n’était pas différente en France. La pénurie de cadavres et l’accroit du nombre d’apprentis ne faisaient pas bon ménage. Dissections et autopsies se pratiquèrent indistinctement dans les hôpitaux. Les autorités décidèrent alors de séparer les deux pratiques, pour éviter les « glissements » dénoncés par les familles. Ce n’était pas les médecins ni les étudiants qui étaient en cause, mais les agents subalternes.

De temps en temps, un commerce des restes humains était découvert, comme celui des dents et cheveux ou encore ce trafic parisien de graisse humaine qui fut démantelé et qui fournissait des chandeliers, des émailleurs (pour souder à la flamme) et des charretiers (pour graisser les roues des voitures). Commençant par Paris, de premiers règlements furent alors rédigés afin de mettre de l’ordre dans les salles privées ainsi que dans les amphithéâtres destinés à cette pratique.  

En 1834, les autopsies furent interdites hors des pavillons de la faculté de médecine et de l’amphithéâtre central des hôpitaux, seuls lieux autorisés à centraliser les corps des indigents décédés à l’hôpital et non réclamés par les familles. Le délai de vingt-quatre heures fut rappelé, ainsi que l’obligation de rendre le corps aux familles.

En 1841, le Conseil général des hospices parisiens interdit aux médecins des hôpitaux d’autopsier le cadavre de toute personne réclamée, sans consentement écrit au préalable de la part de sa famille. Jusque-là, la non-opposition avaient était considérée comme consentement. Les médecins se révoltèrent contre ladite décision et les autorités firent machine arrière. C’est ainsi que jusqu’au XXe siècle, l’autopsie fut la règle tant à Paris qu’ailleurs.

En 1847, une dernière obligation s’ajouta : rendre aux familles les corps autopsiés dans un état convenable et, si possible dans sa forme primitive.

Le pourquoi du comment

Dès le début du XIXe siècle, les médecins s’intéressèrent au lien entre les symptômes dont se plaignaient les malades. Ils voulaient identifier les organes et les tissus atteints, ils souhaitaient connaitre la cause. On appela cela, la méthode anatomo-clinique : le diagnostic dépassa les simples symptômes, il devint aussi lésionnel. Le taux très élevé de mortalité dans les hôpitaux de l’époque donna de quoi faire aux médecins avides de faire progresser les connaissances.

Pour désamorcer les réticences, des médecins célèbres donnèrent aussi leurs corps à la science. Ce fut le cas de Guillaume Dupuytren (1777-1835), chirurgien français qui laissa son nom à une rétraction progressive du tissu fibreux situé dans la paume de la main (maladie de Dupuytren) et qui mourut, d’une crise d’appendicite, à la suite de son refus de se faire opérer.

Carl von Rokitansky (1804-1878), médecin et philosophe autrichien d’origine bohémienne, réalisa plusieurs milliers d’autopsies et marqua un changement de paradigme à Vienne : la médecine désormais ne fut plus guidée par la philosophie mais par les sciences naturelles. L’autopsie devint ainsi une branche séparée de la médecine.

Aujourd’hui, l’autopsie intègre un examen externe et interne approfondi, pratiqué par un médecin spécialiste en anatomopathologie et médecine légale. Le praticien commence l’autopsie par un examen externe du cadavre, auquel s’ajoutent des clichés radiographiques et des prélèvements de sang et d’urine. Il réalise ensuite une dissection de la cavité du corps. Avec un scalpel, il fait une grande incision sur la partie antérieure du corps. Il observe ensuite les viscères (qui seront retirés au préalable des cavités naturelles) et procède à l’analyse des prélèvements faits, qu’il s’agisse de liquides, des cheveux ou des tissus. Il peut également disséquer des organes (comme le cœur, les poumons ou le foie) dans le but d’identifier la cause du décès. L’examen du contenu de l’estomac et des intestins (aliments partiellement digérés) l’aide à déterminer l’heure du décès. Enfin, une scie électrique permet d’ouvrir le haut du crâne et d’accéder au cerveau. Après l’examen, les diverses incisions sont recousues avec soin et respect pour le défunt et sa famille.

Photo : La Leçon d’anatomie du docteur Tulp – peinture réalisée par Rembrandt en 1632 représentant une démonstration anatomique sur les muscles du bras par le professeur Tulp, devant ses apprentis.

Bibliographie

Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus :

Anne Carol. Les médecins et la mort. XIXe – XXe siècle. Editions Flammarion, 2004.

Clifford A. Pickover. Le Beau Livre de la Médecine. Des sorciers guérisseurs à la microchirurgie. Editions Dunod, 2013.

Jean-Noël Fabiani. 30 histoires insolites qui ont fait la médecine. Editions Plon, 2017.

Jean-Noël Fabiani & Philippe Bercovici. L’incroyable histoire de la médecine. Editions des Arènes, 2018.

Marc Magro. Sur l’œil d’Hippocrate. Petites histoires de la médecine, de la préhistoire à nos jours. Editions First-Gründ, 2014.

Liages/Mara Barreto/100822

 [1] Voir : article Liages  « Le saviez-vous ? Des barbiers aux chirurgiens. Petite balade dans leur histoire ». Disponible sur : https://www.liages.be/des-barbiers-aux-chirurgiens-petite-balade-dans-leur-histoire/

[2] Voir : article Liages  « Le saviez-vous ? La peste. Petite balade dans l’histoire de cette grande épidémie » . Disponible sur : https://www.liages.be/la-peste-petite-balade-dans-lhistoire-de-cette-grande-epidemie/

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