Des barbiers aux chirurgiens – Petite balade dans leur histoire

« Ecclesia abhorret a sanguine »
Pendant le haut Moyen Age, la médecine était principalement pratiquée par le clergé. Voulant réorienter l’action des moines vers le soin des âmes, l’Eglise prit position en 1163, lors du concile de Tours et décréta qu’elle « détestait le sang » (Ecclesia abhorret a sanguine). En pratique, l’Eglise interdit aux médecins, la plupart étant membres du clergé, de pratiquer des opérations. Celles-ci furent reléguées aux barbiers qui, par la force des choses, possédaient des lames bien tranchantes. C’est ainsi que ces derniers eurent le rôle d’arracher des dents, d’inciser des abcès ou de pratiquer des saignées et ce souvent, avec le même instrument. L’écart se creusa ainsi entre le chirurgien considéré comme un manouvrier qui ne parlait qu’en françois (ancien français), et le médecin, savant universitaire qui dissertait en latin.   

Question de robes
Au Moyen Age, le terme « barbier » renvoyait à trois métiers différents : le barbier proprement dit, qui avait pour tâche de raser, le barbier-perruquier qui exerçait son talent sur les têtes de la Cour et le barbier-chirurgien, en charge des petites interventions. Entre barbier et chirurgien, la frontière restait floue et était source de querelles. Au XIIIe siècle, Jean Pitard, barbier-chirurgien de Saint Louis, demanda à Louis IX de réunir les chirurgiens en une corporation et de créer une confrérie pour mieux organiser leur métier. On distingua alors les chirurgiens-barbiers dits « de robe courte » qui se contentaient d’effectuer de petites interventions comme le soin de clous ou la mises de ventouses ainsi que les maîtres chirurgiens dits « de robe longue », qui portaient la même longue soutane noire que les médecins et qui devaient passer un examen auprès de leurs pairs avant d’exercer.

Le poteau des barbiers
A l’époque où les barbiers pratiquaient des actes sanglants comme l’arrachage des dents ou la saignée, ils avaient l’habitude de mettre à sécher les bandages tachés de sang devant leurs boutiques. Le poteau des barbiers à bandes hélicoïdales étant une enseigne utilisée durant des siècles, les bandes rouges représentent probablement ces bandages, agités par le vent autour d’un support. En Angleterre, vers la moitié du XVIème siècle, les chirurgiens académiques et les barbiers-chirurgiens se réunirent aussi en une corporation mais gardèrent des attributions distinctes. Les premiers ne coupaient pas les cheveux et utilisaient des poteaux à bandes rouges et blanches. Bien que les deuxièmes pussent continuer à arracher des dents et à faire des saignés, ils n’étaient pas autorisés à pratiquer de grandes chirurgies et devaient alors afficher des poteaux à bandes bleus et blanches. 

Le père de la chirurgie moderne
Alors que les médecins de l’époque considéraient les « barbiers-chirurgiens » comme des ignorants, Ambroise Paré, qui ne connaissait pas le latin, réussit à élever le métier de chirurgien et diffuser ses travaux en écrivant directement en françois. Il fut l’un des plus fameux barbiers-chirurgiens de la Renaissance et son influence se fit sentir dans toute l’Europe. En 1545, il rendit public son traitement des blessures dans un ouvrage qui traça le chemin vers une pratique chirurgicale beaucoup plus « raisonnable ». Cet inventeur d’instruments et de prothèses fut aussi le premier à pratiquer la ligature d’une artère au cours d’une amputation pour prévenir l’hémorragie remplaçant ainsi la méthode traditionnelle qui consistait à bruler le moignon par application d’un fer chauffé à rouge.

La fistule de Louis XIV
En 1686, Louis XIV souffrait d’un abcès douloureux dans le fessier. Il aimait chasser et il avait dû trop frotter en selle. Une des glandes proches de son anus s’était infectée. Il eut de la fièvre et dut s’aliter. Le médecin du roi essaya d’abord de le soigner avec des purges mais reconnut finalement qu’il n’y avait que le barbier-chirurgien qui pouvait le soulager en ouvrant l’abcès, obligeant ainsi la cicatrisation à se faire par le fond de la plaie. Felix pratiqua d’abord cette opération sur d’autres fistuleux, car ils n’en manquaient pas dans la prison. Son intervention sur le roi fut un vrai succès ! C’est ainsi qu’à sa demande, Louis XIV sépara en 1691 les métiers de barbier et de chirurgien et organisa un enseignement spécifique pour ce dernier. Felix mourut en 1703, à la suite d’une intervention sur lui-même, lorsqu’il tenta de s’insérer une sonde pour soulager la rétention urinaire dont il souffrait.

« Serre fort pipe entre tes dents, je coupe »
Cette expression date de l’époque de Dominique Larrey, chirurgien militaire dans les troupes de Napoléon. A cette époque-là, on opérait encore « à cru » et souvent sous la mitraille. Précurseur en matière de soins sur les champs de bataille, Larrey mit au point en 1792 un système d’ambulances volantes, tirées par un cheval, qui lui permettait de s’avancer dans les lignes et de récupérer les blessés. La rapidité semblait la seule solution pour diminuer la douleur des combattants et, en l’absence d’antibiotiques, l’amputation était le seul moyen d’éviter l’infection : le père de la médecine d’urgence mettait moins d’une minute pour amputer un membre. Larrey accompagna Napoléon pendant toutes ses campagnes, depuis l’Italie jusqu’à Waterloo en passant par l’Égypte et l’Espagne. En 1807, le soir de la bataille d’Eylau, il amputa pas moins de deux cents blessés !  

Halsted et ses gants d’amour
Vers 1865 en Angleterre, le chirurgien Joseph Lister suivit les conseils de Pasteur et commença à utiliser l’acide carbolique pour nettoyer son matériel. Il constata ainsi une réduction drastique des infections post-opératoires, ce qui motiva ses collègues, qui opéraient comme lui à mains nues, à tremper ses mains et ses instruments dans cet antiseptique aujourd’hui appelé phénol. En 1885, l’américain William Halsted qui opérait dans le tout nouvel hôpital Johns-Hopkins, aujourd’hui l’un des plus reconnus au monde, tomba amoureux de son assistante qui développa une sévère irritation de mains à cause du lavage répété avec cet antiseptique. Halsted, qui n’acceptait pas l’idée de se séparer de sa panseuse-chef, commanda des gants stérilisables à la compagnie Goodrich Rubber qui venait d’inventer le caoutchouc. Ils vécurent heureux et n’eurent aucun enfant.

Motif de broderie : le vaisseau
Jusqu’au XX siècle, le traitement des vaisseaux sanguins endommagés se limitait à la simple ligature « à la façon d’Ambroise Paré ». Ce type de suture abîmait souvent les membranes internes, ce qui favorisait la formation de caillots et augmentait le risque d’obstruction pouvant mener éventuellement le patient à la mort. Vers 1900, le chirurgien français Alexis Carrel, se fit embaucher comme apprenti auprès d’une talentueuse brodeuse à Lyon qui utilisait des aiguilles et des fils très fins. C’est en exécutant des nœuds de plus en plus fins qu’il arriva à mettre au point une nouvelle méthode de suture vasculaire, publiée en 1902 et encore en usage aujourd’hui. Carrel fut aussi un pionnier de la transplantation d’organes : en 1908, il réalisa la première transplantation de rein d’un chien à un autre. En 1912, il obtint le prix Nobel en reconnaissance de ses travaux sur la suture vasculaire et la transplantation de cellules sanguines et d’organes. 

Mara Barreto 

Bibliographie 
Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus :

Clifford A. Pickover. Le Beau Livre de la Médecine. Des sorciers guérisseurs à la microchirurgie. Editions Dunod, 2013.

Jean-Noël Fabiani. La Fabuleuse Histoire de l’hôpital. Du Moyen Age à nos jours. Editions des Arènes, 2016.

Jean-Noël Fabiani. 30 histoires insolites qui ont fait la médecine. Editions Plon, 2017.

Jean-Noël Fabiani & Philippe Bercovici. L’incroyable histoire de la médecine. Editions des Arènes, 2018.

Marc Magro. Sur l’œil d’Hippocrate. Petites histoires de la médecine, de la préhistoire à nos jours. Editions First-Gründ, 2014.

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