Compte-rendu de la conférence-débat « L’euthanasie et les soins palliatifs : Quel bilan, après 20 ans de loi en Belgique ? »

Dans le cadre de sa campagne « La fin de vie, c’est mortel ! Parlons-en tant qu’il est temps », Liages, association du réseau Solidaris, a organisé une conférence-débat intitulée :
« L’euthanasie et les soins palliatifs : Quel bilan, après 20 ans de loi en Belgique ? »

L’objectif de cette campagne est de briser le tabou autour de la fin de vie et de la mort, de donner des informations et de promouvoir les échanges pour que chacun et chacune puisse faire ses choix ainsi que les faire connaître et respecter. Cette conférence-débat, destinée aux professionnel·le·s de la santé (et également ouverte à tous·tes), s’inscrit dans ce cadre.

En 2002, le législateur belge a adopté trois lois qui ont un impact incontestable sur le droit médical en général et sur les décisions médicales en fin de vie en particulier : la loi sur les droits du patient, la loi relative à l’euthanasie et celle relative aux soins palliatifs. Lors de notre conférence, nous nous sommes focalisé·e·s sur ces deux dernières et en avons fait le bilan, après 20 ans.

Jeudi 16 juin 2022, environ 250 personnes sont entrées au Palace, dans le centre de Bruxelles. Médecins, infirmier·ère·s, direction et personnel de maisons de repos, assistant·e·s sociaux·ales, aides-soignant·e·s, psychologues, juristes et particulier·ère·s ont pu écouter deux intervenant·e·s de qualité, qui ont fait part de leur pratique respective et de leur expertise :

  • Me Jacqueline Herremans, Avocate, Présidente de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), Membre de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, nous a présenté un exposé intitulé « Dépénalisation de l’euthanasie : tout savoir sur le cadre juridique ».

Après un rappel des conditions et des circonstances qui ont permis le vote de la loi et le bilan de sa mise en œuvre, elle a expliqué qu’il s’agit d’une dépénalisation et pas d’une légalisation (on tombe sous un champ infractionnel si les conditions ne sont pas remplies) et précisé que la sédation terminale, qui se pratique plus souvent que l’euthanasie, n’entre pas dans le cadre de cette loi.

Me Herremans a ensuite évoqué les conditions essentielles : la demande volontaire, réfléchie, réitérée (et formulée indépendamment de toute pression extérieure) ; la situation médicale sans issue (et ce, suite à une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable) et l’état de souffrance insupportable, physique ou psychique[1]. Quant aux conditions de forme et de procédure, la Présidente de l’ADMD a rappelé qu’il revient au·à la médecin de consulter l’équipe soignante, mais que la décision ne revient pas à cette dernière. Quant aux proches, le·la médecin s’entretient avec eux·elles seulement si le·la patient·e le souhaite, mais ils·elles n’ont pas non plus de pouvoir de décision[2] : c’est à la personne elle-même de décider.

Après une description des modifications législatives intervenues depuis 2002, Me Herremans nous a parlé du contrôle de la loi. Problèmes juridiques, instance compétente et sanctions à prévoir : la loi de 2002 n’a prévu ni l’instance ni les sanctions quant aux conditions essentielles ou aux conditions de forme et de procédure. Résultat : on se retrouve éventuellement avec la Cour d’Assises comme instance compétente et, comme base juridique, un homicide volontaire (avec préméditation) ou un empoisonnement (administration de substances de nature à entraîner la mort).

Outre les évolutions qui ont eu lieu en 20 ans, la présidente de l’ADMD a cité celles qui s’annoncent. Quant à l’évolution dans la pratique de l’euthanasie, Me Herremans nous a bien précisé qu’elle a toujours été induite par les patient·e·s eux-mêmes.

Elle a clôturé son exposé avec un extrait du documentaire « Les Mots de la Fin »[3] , reprenant un entretien entre le Dr François Damas (qui tient la consultation médicale de fin de vie à l’ Hôpital de la Citadelle) et une patiente.

  • Le Dr Charles-Henri Serre, Médecin généraliste et Coordinateur des soins palliatifs au CHU de Liège et aux Cliniques ISoSL (Valdor-Pèrî), nous a parlé des « Soins palliatifs : évolution et état des lieux, point de vue d’un clinicien » .

Après un panorama des soins palliatifs, 20 ans après une loi les organisant, il nous a rappelé l’action et le combat des pionnier·ère·s convaincu·e·s et engagé·e·s, la création des 1ères structures dans les années 80 (les équipes de soutien à domicile, les unités de soins palliatifs et les équipe mobiles des soins palliatifs intra-hospitalières) et l’évolution de l’organisation dans les années 90 (la reconnaissance des plateformes, le forfait palliatif, etc.).

Le Dr Serre nous a rappelé également les principes posés par la loi de 2002 relative aux soins palliatifs (droit et égalité d’accès, cellule d’évaluation, appui aux professionnel·le·s, etc.) ainsi que les modifications législatives intervenues en 2016 et 2018. Il nous a donné un état des lieux clair et nous a parlé de la (non) accessibilité de ces soins et du besoin, pointé par la cellule d’évaluation, de poursuivre leur développement (lier le PICT[4] et l’ACP[5], augmenter le financement, développer la recherche, proposer des structures de « middle care »[6]). Il a aussi mentionné les points importants de la loi sur les droits du patient, très intriquée avec celle relative à l’euthanasie et celle sur les soins palliatifs.

Enfin, le Dr Serre a rappelé le lien légal existant entre les soins palliatifs et l’euthanasie : lors d’une évaluation de demande d’euthanasie, le·la médecin doit avoir donné une information sur les possibilités thérapeutiques encore envisageables ainsi que celles offertes par les soins palliatifs, et d’envisager leurs conséquences. Ce médecin coordinateur a exprimé qu’il trouve la loi sur l’euthanasie profondément éthique, parce qu’elle respecte chacune des parties (le·la patient·e qui a le droit de demander et le·la médecin qui assume de mettre fin à la vie d’un autre être humain),  et permet ce lien thérapeutique ainsi que la possibilité de cheminer ensemble.

Un espace pour les questions-réponses a suivi chaque exposé. Nous avons clôturé la matinée avec un débat en présence des intervenant·e·s, modéré par le Dr Catherine Loly (oncologue, département de gastroentérologie – CHU de Liège), qui nous a résumé les points à retenir :

  • La loi de 2002 a dépénalisée l’euthanasie et ce, sous certaines conditions: le terme  « légalisée » n’est donc pas correct ;
  • En Belgique, nous avons droit à la demande d’euthanasie : le patient demande, le médecin a le droit de refuser (nous n’avons pas « droit à l’euthanasie ») ;
  • Cette loi offre aux médecins un cadre juridique lorsque l’un·e de leurs patient·es, atteint·e d’une affection grave et incurable et souffrant de manière inapaisable, désire mettre un terme à sa vie ;
  • La clause de conscience est un droit individuel. Une institution ne peut pas imposer aux médecins une attitude ou une autre. La loi de 2020 (visant à modifier la législation relative à l’euthanasie) a permis quelques compléments : d’imposer un délai de réponse aux médecins s’ils·elles refusent pour une raison philosophique ou religieuse, et l’obligation de donner à leur patient·e les coordonnées d’un centre ou d’une association spécialisée en la matière ;
  • Sur le plan des soins palliatifs, la loi dispose que tout·e patient·e a droit aux soins palliatifs, lorsqu’il·elle se trouve à un stade avancé ou terminal d’une maladie grave, évolutive quelle que soit son espérance de vie (les soins palliatifs ne sont pas synonymes de soins terminaux) ;
  • Les soins palliatifs doivent offrir la meilleure qualité de vie possible au patient, avec une autonomie maximale conservée ;
  • Il y a encore beaucoup de réticences de la part de certain·e·s professionnel·le.s qui ont du mal à lâcher prise dans le curatif ;
  • Il faut continuer à informer et former le plus possible par rapport à ces deux notions qui sont l’euthanasie et les soins palliatifs ;
  • Les soin palliatifs et la demande d’euthanasie sont deux droits distincts mais non opposables et complémentaires

Marc De Paoli, Président de Liages et Administrateur délégué du CHU de Liège, a remercié l’équipe de Liages pour l’organisation de cette matinée ainsi que les trois intervenant·e·s pour leur clarté et humanité dans leur approche.

Enfin, il a conclu en nous faisant part des avancées dont nous aurions besoin :

Concernant les soins palliatifs :

  • Les rendre encore plus accessibles au niveau des moyens et du cadre, en augmentant le nombre de lits (y compris en hôpital psychiatrique) et le nombre d’équipes mobiles et développer plus encore les soins palliatifs en ambulatoire et à domicile ;
  • Créer un cadre juridique pour financer et développer des structures de « middle care » ;
  • Supprimer la limite de trois mois pour accorder un statut palliatif[7].

Concernant (la loi sur) l’euthanasie :

  • A l’instar des Pays-Bas, permettre de déterminer soi-même dans la déclaration anticipée (DA)[8] le moment, le contexte et les conditions dans lesquelles on souhaite que l’euthanasie soit appliquée (par ex. : ne plus savoir s’alimenter, être profondément désorienté·e et totalement dépendant·e…) ;
  • Fixer un cadre pour une étude transversale relative à toutes les décisions médicales en fin de vie (par ex. : l’arrêt de traitement, la sédation terminale, les doses importantes d’opiacés données, les euthanasies refusées…)
  • Faire un appel à des volontaires pour la Commission de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie[9] et lui donner les moyens financiers ;
  • Légaliser l’euthanasie en Belgique (actuellement dépénalisée).

Notre président a « conclu sa conclusion » avec les propos suivants :

« Le point de départ de toute évolution de ces lois et venu, vient et viendra de la souffrance des patients ».

A la sortie de la conférence, deux tiers de la salle a rempli notre questionnaire d’évaluation. Presque la totalité des participant·e·s nous ont donné des retours très positifs quant à l’organisation, la logistique, les interventions et les possibilités d’échange et de débat. Globalement, cette conférence a parfaitement répondu aux attentes des participant·e·s et leur a apporté des pistes et des réponses.

Poursuivons le débat sur les questions posées aujourd’hui et sur ce qu’il faut encore faire évoluer !

Continuons le travail pour que les soins palliatifs et l’euthanasie, en regard de la valeur d’égalité, soient accessibles à toutes et tous !

Battons-nous pour que tout·e citoyen·ne ait le choix !

Liages/Mara Barreto/290622

[1] Pour une personne mineure, il n’est question que de souffrances physiques.

[2] Dans le cas d’une personne mineure, les représentant·e·s légaux·les doivent marquer leur accord (conditions plus restrictives).

[3] Documentaire réalisé par Gaëlle Hardy & Agnès Lejeune en partenariat, entre autres, avec Solidaris et l’ADMD.

[4] Le PICT (Palliative Care Indicators Tool) est une échelle permettant d’identifier un patient palliatif à un stade plus précoce de sa maladie.

[5] L’ACP (Advanced Care Planning) est un processus de déclaration anticipée relative aux soins du patient, en vue de définir une orientation commune des soins et des traitements à mettre ou non en ouvre.

[6] Les structures de « middle care » sont des structures intermédiaires qui répondent aux besoins des patients qui ne peuvent plus rester à domicile mais qui ne remplissent pas non plus des critères pour être hospitalisés (ou hébergés dans une maison de repos).

[7] Actuellement, l’accord se fonde, entre autres, sur une estimation de l’espérance de vie. Si cette durée est supérieure à trois mois, le patient ne peut prétendre à l’aide financière (forfait palliatif).

[8] En Belgique, la DA d’euthanasie est réservée uniquement  à des patients en état d’inconscience irréversible.

[9] Composée de 16 membres dont 8 médecins, 7 juristes et 4 issus des milieux chargés de la problématique des malades atteints d’une maladie incurable. Ces membres sont nommés, en assurant une représentation pluraliste, par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres, pour un terme renouvelable de 4 ans.

 

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