Harcèlement de rue: le prisme de l’âge

Le billet de Béné – Juillet 2022

Je viens de me rendre compte d’une chose aussi libératrice que glaçante : il est devenu plus rare qu’on me siffle, me complinsulte (complinsulter : verbe, contraction entre le compliment et l’insulte, ex : « jolie pétasse ») ou m’assaille d’autres cris et regards mi-féroces mi-affamés sur les trottoirs que je parcours ou dans les bus que je fréquente. Au vu des témoignages et de mes propres observations urbaines, je ne crois malheureusement pas que nos chers harceleurs de rue se soient convertis au féminisme. Loin de là: si j’ai    – un peu plus – la paix, c’est parce que je suis devenue « trop vieille ».

C’est vers 12 ans que les ennuis ont commencé pour moi. Je me souviens encore de la première fois ou un homme m’a regardée et abordée comme une femme, alors que je n’avais même pas encore eu l’occasion de me considérer comme telle moi-même. A partir de là, les choses ont été croissantes, connaissant une apothéose entre mes 14 et mes 17 ans, avant d’aller decrescendo une fois que la majorité s’est peu à peu devinée sur les traits de mon visage.  Entendons-nous : il arrive encore que quelques-uns tentent de m’intimider, de me dévisager goulument ou de m’attraper les hanches au passage. La rue n’est pas magiquement devenue un terrain sécurisant pour moi une fois les 25 ans passés. J’y suis toujours une proie, j’y suis toujours épiée, déshabillée du regard, suivie. Je crois que, malheureusement, à l’heure actuelle, aucune femme ne peut se targuer d’une paix royale lors de ses apparitions dans les lieux publics, et ça, jusqu’à sa mort. Mais… nous avons un peu plus la paix qu’à nos 14 ans. C’est en tout cas mon expérience, et celle des amies à qui j’en ai parlé.

L’appétit sexuel affiché des harceleurs de rue envers des gamines est évidemment un très gros problème. Et si il est vrai que l’écolière, la « teen » (adolescente) ou la «  barely legal » (à peine majeure) sont des catégories bien fournies dans le monde du porno, c’est pourtant la « MILF » et la « belle-mère »  qui y sont les plus recherchées [1], indiquant une attirance majoritaire pour les femmes mûres. L’un dans l’autre, ces « mots-clés » démontrent une forme de fétichisme collectif de la tranche d’âge qui me laisse perplexe, mais ce qui est clair, c’est que l’attirance et le désir semblent être bien plus variés à l’ombre d’un écran que ce qui s’affiche violemment et sans complexe dans la rue. Pourquoi ? J’en déduis qu’il est plus facile de s’en prendre à des jeunes filles qui n’ont simplement pas encore eu le temps de faire leurs armes face au machisme ambiant.

Ainsi, si le harcèlement se concentre sur les très jeunes adolescentes, ce n’est pas tellement parce que les femmes plus âgées sont moins désirées ou désirables… c’est parce qu’elles sont moins vulnérables. De ce fait, le harcèlement n’est clairement pas une question de séduction, de « drague de rue » et de désir incontrôlable, comme beaucoup voudraient encore nous l’expliquer, mais bien une question de domination.  Et surtout d’une domination qui soit, de préférence, facile.

 

 

[1] Elle Magazine, « Pornhub : et les mots clés pornos les plus recherchés sur le Netflix des fesses sont… », 2018.

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