Maison Gertrude, un centre d’art en maison de repos

Maison Gertrude, depuis 1979 : C’est ainsi que nous avons rebaptisé la Maison Sainte-Gertrude, maison de repos et de soins : « Maison Gertrude ». En somme, une maison de qualité comme on le dirait pour la haute couture ou d’une grande maison du luxe. (…) il s’agit ici du luxe comme nécessité : l’art du soin. – Mohamed El Khatib, metteur en scène
« Faire se rencontrer le soin et l’art, l’art et le soin, le soin dans l’art, l’art du soin, qu’importe ! L’idée n’est que prétexte à la vie… » – Géraldine Maes, coordinatrice paramédicale et du centre d’art pour le CPAS
…la vie des habitant·e·s de la Maison qui ont (re)noué avec la pratique artistique, (re)découvert une passion, un talent ou simplement fait quelque chose qui a du sens, le temps d’une journée, répétée le temps de la résidence des artistes. Pour déambuler dans ce centre d’art atypique, nous sommes guidé·e·s par Laurence, habitante de la maison, rieuse, qui parait comme celle à qui on ne la fait pas.
…le prétexte d’aller plus loin dans sa démarche de metteur en scène : « On va d’habitude chercher les vieux pour les ramener au centre culturel. Pourquoi ne pas aller et faire avec eux ? » En 2024, Mohamed El Khatib, de la compagnie Zirlib, avait déjà fait monter sur scène des aîné·e·s belges pour jouer « La vie secrète des vieux » et parler de désir, de sexe, de vie…
Relier social, soin et art grâce à la complicité du Théâtre National Wallonie-Bruxelles, de musées et d’artistes associé·e·s.
Pendant des semaines, des artistes sont venu·e·s en résidence à la Maison Gertrude : « Ce que je suis venue faire, c’est créer du lien. Lien sans lequel, à mon sens, rien ne pourra avoir lieu. Je me balade dans les couloirs, je joue au Bingo, je visite la cuisine (…), je m’assieds et je papote devant les ascenseurs du 1er (…) Comprendre les us et coutumes de la Maison, repérer le lieu et ses recoins. Comment l’on s’y déplace… (…) Peu à peu des affinités apparaissent, des sourires s’échangent, avec d’autres persistent la distance, c’est un paramètre à accepter : je ne ferai pas l’unanimité. » – Dorothée Van Biesen, designeuse et artiste plasticienne
Comment mêler l’art à la vie quotidienne de celles et ceux qui ne sont pas des familiers des musées ? « On n’a rien contre l’art – On n’a rien pour non plus. »
« C’est un vrai débat : faut -il confronter, impulser ce rapport à l’art ? Comment s’en faire une idée, avoir une sensation, une émotion si on n’y a pas accès ? L’idée du projet, c’est aussi de partir de vous et de ne pas ramener des formes extérieures à la Maison et qui n’auraient rien à voir avec les habitant·e·s. » – Camille Nauffray, dramaturge et coordinatrice artistique du centre d’art pour Zirlib
À la Maison Gertrude, « l’art n’est pas déconnecté des gens qui y vivent » abonde l’habitant Denys Leyseele. Iels en ont d’ailleurs la primauté sur les visiteurs et visiteuses qui, elleux, ont un accès restreint (mais suffisant !) à certaines œuvres.
Il y a la dentelle géante de l’artiste plasticienne Elodie Antoine dont l’idée finale s’est concrétisée au même moment où le chat Pompon a fait son arrivée dans la maison, ramenant çà et là quelques souris à ses nouveaux maîtres et maîtresses. Ces scènes de la vie quotidienne ont constitué les motifs en dentelle brodés sur le filet de volière accroché sur l’une des façades du jardin.
Il y a aussi les « Abat-jours pour jours tristes » des artistes Fred Hocké et Lisa Lecuivre. Ces éclairages, créés à partir des supports chinés au marché aux puces du Jeu de Balle et customisés avec les habitant·e·s, ont une utilité pratique commente Laurence : ne pas se casser la figure quand la nuit tombe ! Ils sont aussi une invitation à la lecture, à la rêverie ou aux échanges. Un ensemble dépareillé qui éclaire les vieillesses et fait la lumière sur les invisibles qui habitent cette contrée. Rendre visible.
Rendre audible : c’est l’objet d’un autre duo d’artistes pluridisciplinaires, Joëlle Sambi et Nicolas Pommier. « Allô Gertrude ? – une mémoire collective au bout du fil » est une cabine téléphonique installée dans le jardin et raccordée à des téléphones disséminés dans plusieurs endroits de la Maison. Décrochez le combiné, attendez la tonalité, tapez un des numéros présents dans l’annuaire, attendez la tonalité, vous entrez en correspondance avec l’une des nombreuses voix (habitant·e·s et membres du personnel) qui fait vivre la Maison.
L’art est intimement lié à la vie des gens. Pour dernier exemple, je citerai celui du Bureau des Objets Situés (BOS), espace de recensement des objets intimes et représentatifs d’un temps ou d’un espace révolu. L’artiste plasticienne Lauriane Belin a écouté les habitant·e·s lui parler de l’histoire d’un objet évocateur d’un moment/lieu de vie. Puis, elle en a fait des moulages qu’elle a installés sur des étagères en bois clair collées contre le mur. Depuis l’inauguration du centre d’art, bien des objets ont été détériorés, par désaccord ou par jalousie, ou subtilisés pour en reprendre possession. Belle coïncidence que de nommer ce projet « Tout disparaît » !
Se pose alors la question de comment ces formes artistiques vont rester dans la Maison. Et aussi, est-il nécessaire pour l’art de durer ? Après tout, si celui-ci est co-existant de ses créateur·ice·s, ne devrait-il pas simplement passer ? Montaigne écrivait : « Je ne peins pas l’être. Je peins le passage. » ou, formulé autrement par une habitante d’une maison de repos voisine pour dire l’impermanence des choses : « tout passe, tout casse, tout lasse ».
On quitte la maison en foulant le « Sol en or » et les murs dorés de l’entrée qui attestent de la préciosité de celles et ceux qui œuvrent et vivent chaque jour en ce lieu :
« (…) Ici nous peuplons la Maison Gertrude
de façon aussi absurde qu’une Tour de Babel,
nos vies sont aussi tristes que des fins de puces au Jeu de Balle
mais parfois la poésie surgit là où on ne l’attend pas.
On est heureux que vous soyez là,
nous vous attendions. »
Elodie
Réservez vos billets pour les visites guidées jusqu’au 17.12.25 : Maison Gertrude • Visites guidées • Théâtre National







