La Voyageuse de nuit de Laure Adler

« C’est un carnet de voyage au pays que nous irons tous habiter un jour, cette contrée qu’on ne sait comment nommer : la vieillesse ? Les mots se dérobent. »

La vieillesse demeure un impensé. Plus de cinquante ans après l’essai de Simone de Beauvoir sur le sujet, Laure Adler réengage la réflexion. La journaliste, essayiste, historienne et femme de radio et télévision s’appuie sur de nombreuses références littéraires, théâtrales, cinématographiques -qui font la part belle aux femmes (Benoîte Groult, Marie-Françoise Fuchs, Annie Ernaux…)- pour dresser un portrait subjectif de la vieillesse en trois parties :

Le sentiment de l’âge, « lui, varie en fonction de critères psychiques, physiques, géographiques. Nous en faisons tous l’expérience à partir d’un âge qui peut beaucoup varier. Un beau jour on se sent ou on se sentira vieille ou vieux. » (p.27) ;

L’expérience de l’âge, singulière et collective à la fois. « Vieillir ce serait donc vivre en sachant ce qui est important pour soi, tout en se projetant dans l’avenir. » (p.148) ;

La vision de l’âge, de plus en plus confondue avec la maladie. « Il faut se battre contre l’âgisme et en faire une cause essentielle de notre civilisation (…) : humaine, humaniste, sociétale et politique. » (p.171)

L’autrice présente un visage de la vieillesse aux multiples facettes : regards portés sur l’avancée en âge selon les cultures, chiffres des démographes et des gérontologues, amour-intimité-sexualité, mort, histoire et représentations sociales, ségrégation, etc.

Ces thématiques se croisent et s’interpellent pour former un écrit fragmentaire fait de rencontres et de témoignages pour dire les vieillesses. Chaque sensibilité, qu’elle soit intello et/ou du cœur, peut y trouver écho et se sentir concernée : « Le sens de notre vie est en question dans l’avenir qui nous attend ; nous ne savons pas qui nous sommes, si nous ignorons qui nous serons : ce vieil homme, cette vieille dame, reconnaissons-nous en eux. Il le faut si nous voulons assumer en sa totalité notre condition humaine. » (Simone de Beauvoir, citation p.174)

Ces voix qui s’élèvent sont autant de cris de colère contre ce que la société fait subir aux personnes âgées.

« Au lieu d’être un processus évolutif, la vieillesse est devenue un phénomène dégénératif » (p.55). Malaise civilisationnel renforcé par un silence assourdissant de la part des politiques.

« Si prendre des années est une fatalité, savoir vieillir est une possibilité et peut même devenir un art. » (p.136) Ainsi, le sentiment de révolte côtoie celui de la jouissance, de l’espoir aussi. Penser la vieillesse autrement pour la vivre autrement : par exemple, voir et sentir les modifications du corps comme des transformations et non des déclins, comme une invitation à un nouveau rythme, plus lent, mais pas un arrêt. Vivre la vieillesse comme une conscience renouvelée de l’existence et libre de choix dans notre réponse quant à l’interrogation : Vieillir, « Est-ce un accroissement ou un amoindrissement de la vie ? Est-ce une sédimentation d’expériences ou une série de coups portés à notre vitalité ? » (p.19)

Elodie

ADLER, Laure. La voyageuse de nuit. Grasset, 2020. 224 p.

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