Des poupées… du berceau à la maison de repos

C’est une anecdote au sujet d’une dame portant un bébé en écharpe qui m’a donnée envie d’écrire sur cette thématique. Une dame portant un bébé en écharpe… rien de bien surprenant jusque-là sauf que le bébé n’en était pas un : c’était une poupée… on ne peut plus réaliste. Quelques requêtes internet plus loin, je me retrouve sur un site présentant des bébés Reborn1 2 de toutes tailles, de tous poids et de toutes couleurs de peau… Je me rends compte alors que ces poupées font le bonheur des collectionneurs mais pas uniquement : je découvre des témoignages d’adolescentes qui se sont prises d’amour pour ces « bébés » ou de femmes ayant perdu un enfant qui se « reconstruisent » avec un « bébé » Reborn. Cela me questionne et me pousse à poursuivre mes recherches, qui me conduiront alors à découvrir que les poupées sont également utilisées dans les soins aux personnes atteintes de démence. Ma première réaction fut « mais ces personnes ne sont pas des enfants !!! ». Comment est-on arrivés à utiliser des poupées pour « soigner » les personnes atteintes de démence ? Est-ce que cela fonctionne ? N’est-ce pas infantilisant ? D’où provient cette idée ?

Dans cette analyse, nous tenterons de comprendre ce qu’est la « poupée thérapie », comment elle fonctionne, sur quoi elle se base et quels sont ses effets. Nous nous questionnerons également sur le côté éthique de l’utilisation des poupées chez les adultes âgés atteints de démence. Pr Charles-Henry Rapin

Les poupées

Origine des poupées

Le nom commun « poupée » provient de « pupa » qui veut dire « petite fille » en latin. Si l’on s’en tient à la définition du Larousse, une poupée est une « Figurine représentant un personnage et servant de jouet, d’ornement, de décoration ». L’archéologie place les poupées comme étant vraisemblablement les premiers jouets connus. On en retrouvera dans des tombeaux d’enfants égyptiens datant du XXème siècle av J.C. D’abord immobiles puisque créées à partir de terre cuite, bois ou os, elles deviendront mobiles, dès le 5ème siècle av. J.C pour pouvoir s’adapter aux activités ludiques. À cette époque, représentant une petite fille ou un personnage de rue, elles sont le plus souvent utilisées comme jouets mais peuvent également revêtir une valeur religieuse ou servir à des cultes domestiques, funéraires ou encore, être instrument des sorciers !

Il faudra attendre bien plus tard (1899) pour voir apparaître la poupée « bébé », sorte de poupon à corps mou représentant un nouveau-né avec une grosse tête dépourvue de cheveux et des yeux qualifiés de « vivants », puisqu’ils regardent aussi sur le côté.

Les années passent et les matériaux utilisés ainsi que les types de poupées se diversifient. C’est ainsi que l’arrivée de la Barbie entre 1956 et 1959 marquera un tournant dans le monde des poupées : Barbie n’est pas une poupée de maternage mais bien une poupée d’identification.

De nos jours, la mode est aux poupées le plus réaliste possible. Tellement réaliste que l’on pourrait s’y méprendre. C’est le cas, entre autres, des fameuses poupées Reborn, que l’on peut trouver aisément sur internet.

Utilisation des poupées

Utilisation « commune »…

L’utilisation la plus commune des poupées est le jeu enfantin. Bien que la poupée soit un jouet classique, son utilisation apparaît essentielle pour le développement de l’enfant. En effet, celle-ci lui permettrait d’exprimer ses émotions, de prendre du recul par rapport à une situation, d’enrichir son langage, d’affirmer sa personnalité et de développer sa motricité fine. La poupée aurait donc un rôle d’exutoire de tensions et participerait également à la socialisation.

Autre utilisation « commune » des poupées est celle à laquelle s’adonnent les plangonophiles4 : la collection ! Bien que les poupées soient différentes de celles que l’on donnerait à un enfant, il n’en reste pas moins que les collectionneurs/euses de poupées sont nombreux/ses. Ces adeptes expliquent que leur passion leur permet de s’exprimer de manière créative. Le fait de construire un monde autour de la poupée (maquillage, couture, bricolage…) prouve, selon eux, que l’imagination est toujours en action.

… et utilisation « hors du commun »

Depuis quelques années, la mode est donc aux poupées des plus réalistes. Parmi celles-ci, les poupées Reborn font de plus en plus parler d’elles et pas uniquement pour de bonnes raisons.

Certains situent l’origine de ce type de poupées à Hollywood. L’industrie du film, ne pouvant filmer des enfants de moins de 3 mois, aurait fait appel à des accessoiristes pour créer des poupées faisant parfaitement illusion. Et c’est justement parce qu’elles font parfaitement illusion qu’elles sont si controversées. Ces poupées sont conçues de manière à ressembler le plus possible à de véritables nouveau-nés. Ce type de poupée rencontre un immense succès auprès des passionnés qui cherchent à donner un réalisme quasi irréprochable à leurs poupées. Et c’est tellement réussi que cela peut mettre mal à l’aise. 

Sur les « nurseries », nom donné par les créateurs/rices de poupées Reborn à leur site internet, on trouve à vendre, ou plutôt à « adopter », des « bébés » de toutes tailles et de tous poids (avec leur prénom) mais également des « bébés » prématurés, comme Thimothe mesurant 43cm pour 1kg350, certains avec tuyaux compris ou encore pour les Reborn les plus abouties, des systèmes électroniques reproduisant les battements du cœur.

Ces poupées sont la plupart du temps livrées avec des habits, des langes, une tétine mais également avec un certificat et bracelet de naissance et un petit mot disant que Pierre ou Leyla est ravi(e) de rencontrer sa maman. Pour « adopter » un tel « bébé », il vous coûtera tout de même de 200 à 2000€ voire plus encore.

Si ces poupées, tenant plus de l’objet d’art (tant le souci du détail est important) que du jouet, font le plus souvent le bonheur des collectionneurs, il n’est pas rare qu’elles soient également associées à des histoires et des comportements allant au-delà de la collection.

C’est le cas, entre autres, de Mélanie, adolescente de 15 ans, totalement vouée à ses poupées qu’elle traite comme de véritables enfants, leur préparant le biberon et allant jusqu’à les bercer pour les endormir. Ses parents, inquiets, tentaient de la détourner de cette occupation qui lui prenait tout son temps et la coupait du monde réel. Mélanie étant décrite comme une adolescente solitaire et en échec scolaire, n’ayant aucun autre centre d’intérêt en dehors de ses poupées.

Si l’on peut encore relativiser le comportement de ces adolescentes, il est par contre plus difficile de relativiser celui de parents endeuillés par la perte d’un enfant. L’histoire de cette jeune mère suisse interpelle. Après la mort de son fils de 8 mois, Angela, tombée dans la dépression, décide de se faire faire un bébé « Reborn » ressemblant traits pour traits à son enfant décédé. La poupée fait désormais partie de la famille (Angela a également une fille) et, selon ses dires, l’aide à faire son deuil.

Les psychologues sont relativement partagés sur ce sujet. Pour certains, ce faux bébé risque de créer plus de problèmes qu’il n’en résout. Pour d’autres, ces poupées peuvent être un « outil » qui peut aider les parents dans leur processus de deuil. Cela peut donc être « sain » à condition que cette transition ne dure pas trop longtemps car cette imitation du réel, si elle perdure, peut devenir un obstacle à l’accomplissement du deuil initial.

On comprend, dès lors, pourquoi ces poupées ultra-réalistes souffrent d’une mauvaise réputation et peuvent susciter indignation et consternation, moins du fait de l’objet en lui-même que de l’utilisation qui en est faite.

Enfants, adolescents, adultes, quelle que soit leur utilisation et l’avis que l’on s’en fait, il semblerait que les poupées soient partout ! Doit-on dès lors s’étonner de les retrouver jusque dans les institutions pour personnes âgées et que celles-ci soient l’élément de base d’une thérapie que l’on nomme la « doll-therapy » ou la thérapie par les poupées ?

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