Je n’ai pas fait à la place de.

Billet d’humeur

Peut-être parce que j’avais relu, un peu plus tôt, les propos rapportés par la sociologue et philosophe Nathalie Rigaux*, citant Chantal Monseu, sur la distinction entre autonomie et indépendance. Il y a dans nos représentations de la vieillesse une confusion entre les deux. L’autonomie serait le « droit à l’autodétermination, à choisir sa vie » quand l’indépendance serait « l’état de la personne qui subvient elle-même à ses besoins ».

Peut-être aussi parce que je sortais tout juste d’un atelier de philo avec les résident·e·s d’une maison de repos. Et que cet exercice cultive l’autonomie de la pensée.

Deux personnes âgées entrent dans le tram. Elle, une main appuyée sur sa béquille, de l’autre cherchant  tous les appuis possibles. Lui, balayant l’espace de son regard, à la recherche d’une place assise et de marmonner : « ils sont tous sur leur téléphone ». Pas une oreille qui se dresse, pas un œil qui se décolle des écrans. Nos regards se croisent et je lui dis : « oh, vous pouvez leur demander ». L’air comme surpris par cette proposition, il s’exécute et aussitôt une place se libère. Son amie assise, lui débarrassé de son sac à dos et s’essuyant le front, m’adresse un merci en clignant lentement des yeux.

Cette fois-là, je n’ai pas fait à la place de. Je n’ai pas servi de mégaphone pour dire ou amplifier la voix de l’autre. Cet homme âgé a pris sa place dans l’espace public.

Me viennent, maintenant que je pianote cette anecdote, les paroles d’une chanson de France Gall :

« Et pour quelle raison étrange

Les gens qui n’sont pas comme nous, ça nous dérange

(…)

C’est peut-être un détail pour vous

Mais pour moi, ça veut dire beaucoup

Ça veut dire qu’il était libre

Heureux DE PRENDRE (SA) PLACE, malgré tout »

Elle a fait à la place de.

A peine une semaine plus tard, j’assistais à un évènement heureux où la cérémonie se déroulait sous un soleil de plomb. Quelques chaises ombragées étaient disponibles et réservées, par un rappel tonitruant de l’organisatrice : « pour les femmes enceintes et les personnes âgées ! ». Les poussettes s’avancent et le deuxième groupe social visé suit, bras dessus, bras dessous.

Je sens monter en moi un sentiment mêlé de honte et de colère. Et si c’était moi, quelques années de plus au compteur, qui remontais cette allée ? Moi, sous le regard des autres qui m’entoureraient de mille précautions puisque une ou deux générations nous sépareraient. Et de m’imaginer, piquée dans mon égo, écraser le pied de l’organisatrice, lui suggérer la phrase : « Des chaises sont installées à l’ombre pour les personnes qui en ressentent le besoin ! ». Et, ainsi, préserver mon aptitude à choisir ce que je juge bon pour moi.

« C’est peut-être un détail pour vous

Mais pour moi, ça veut dire beaucoup

Ça veut dire que j’étais libre

Heureuse DE PRENDRE (MA) PLACE, malgré tout »

Sources :

* propos recueillis lors de la conférence « que signifie être autonome ? » donnée à l’occasion d’une journée d’études « Autonomie à tous les (ét)âges » et organisée par Le CIEP et Eneo (15/11/24)

** Chanson Il jouait du piano debout, France Gall

 

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