Seniors et euthanasie : pour une fin de vie digne
Suite au succès rencontré dans le cadre de sa campagne d’information « Seniors, l’euthanasie, parlons-en ! » , Liages a organisé une journée complémentaire sur cette thématique le 5 juin dernier à Namur.
Compte-rendu de la journée du 5 juin 2014
Suite au succès rencontré dans le cadre de sa campagne d’information « Seniors, l’euthanasie, parlons-en ! » , Liages a organisé une journée complémentaire sur cette thématique le 5 juin dernier à Namur.
Une plénière avec 3 interventions était proposée le matin et différentes tables rondes l’après-midi, pour aborder des thématiques plus spécifiques.
200 personnes dont directeurs et personnel de maisons de repos, médecins, infirmiers, aides-soignants, assistants sociaux, psychologues et particuliers ont pu écouter des intervenants de qualité qui ont fait part de leur pratique respective et de leur expertise.
La journée a été introduite par le Dr. Philippe MAHOUX, co-auteur de la loi dépénalisant l’euthanasie, sénateur et Président du Groupe socialiste au Sénat. Le Docteur Mahoux a expliqué que la loi dépénalisant l’euthanasie est une loi de liberté qui laisse libre le patient dans sa demande, et le médecin dans sa réponse. Il a rappelé également que cette loi présente des balises :
- le patient doit se trouver dans une situation médicale sans issue suite à une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ;
- la demande doit émaner du patient et elle doit être volontaire et réitérée ;
- le médecin n’est pas obligé de pratiquer une euthanasie. Il s’agit d’une décision duale entre le patient et son médecin.
Ensuite, Mme Jacqueline HERREMANS, Avocate, Présidente de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) et membre de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, nous a présenté « L’euthanasie, une solution juridique qui évolue ».
Elle nous a parlé de la situation juridique avant 2002 ainsi que de l’impact que les trois lois votées en 2002 ont eu sur le droit médical et sur les décisions médicales en fin de vie (la loi sur les droits du patient, la loi relative à l’euthanasie et celle relative aux soins palliatifs). Elle a également rappelé les conditions essentielles, de forme et de procédure, nécessaires dans la pratique d’une euthanasie. Parmi ces conditions, il faut distinguer l’écrit, qui doit être rédigé par un patient qui demande une euthanasie (exemple :« je, soussigné,…, demande à pouvoir bénéficier d’une euthanasie. Fait à…, le…) d’une déclaration anticipée (formulaire rédigé de façon anticipée et valable 5 ans qui permet à un médecin de pratiquer l’euthanasie sur une personne inconsciente et donc incapable d’exprimer sa volonté). Mme Herremans a également rappelé :
- qu’un acte interruptif de vie sans demande,
- que le fait de ne pas commencer un traitement ou d’arrêter un traitement,
- qu’une sédation terminale ne rentrent pas dans la définition de l’euthanasie donnée par la loi belge
Le Dr. Dominique LOSSIGNOL, Chef de Clinique des soins supportifs et palliatifs de l’Institut Bordet, Master en Ethique de l’ULB et coordinateur du Forum EOL, dans son discours intitulé « Euthanasie, ni une exception, ni une transgression éthique » a exposé son point de vue au niveau de l’éthique du médecin.
Ce dernier, selon le Dr. Lossignol, doit être présent jusqu’au terme de la vie de son patient, il ne peut se désolidariser pendant la période qui précède l’euthanasie.
Il a rappelé la liberté de ce choix, le fait que nous soyons libres de faire ce que l’on veut de notre vie.
L’euthanasie doit être un choix personnel et non la décision d’autrui.
Pour terminer, il a parlé du dilemme moral pour le médecin qui d’un côté, doit respecter le patient mais de l’autre côté, se fait peut-être violence si sa conscience lui interdit de pratiquer ce geste.
Parmi les nombreuses réflexions :
- La nature est-elle morale ?
- Est-ce moral de ne pas venir en aide auprès d’un être qui souffre au nom d’un quelconque interdit ?
- A-t-on des devoirs moraux envers soi-même ?
- …
Le Dr. Gérard MARIN est Médecin de Famille et Médecin Coordinateur de la maison de repos et de soins du CPAS de Soignies. Dans son exposé « Entendre et accepter une demande d’euthanasie », il a partagé son expérience en tant que médecin dans des situations de fin de vie. Il a témoigné de certains cas qu’il a rencontrés. Le Dr. Marin a parlé de l’importance du rôle du médecin de famille comme quelqu’un qui accompagne vraiment le patient et ce, jusqu’au bout.
Il a ensuite abordé le respect du patient. Si ce dernier ne veut plus souffrir, qu’il souhaite mourir, il faut simplement l’écouter et respecter ce choix.
Les maisons de repos doivent, depuis 2014, respecter ce choix, souligne-t-il, alors qu’avant elles n’étaient pas dans l’obligation de le faire (Arrêté Royal du 9 mars 2014 concernant les normes des maisons de repos et de soins (MRS)
- Les souhaits des résidents doivent être entendus et inscrits dans le dossier
- Les MRS sont tenues au respect des législations (soins palliatifs et euthanasie)
- Les MRS sont tenues au respect des volontés des résidents
Pour terminer, le Dr. Marin a insisté sur l’importance d’une bonne communication, faite de manière opportune, entre le patient, son entourage et le médecin.
L’après-midi, cinq ateliers ont eu lieu pour aborder des thématiques plus spécifiques et permettre des échanges d’expériences :
Atelier 1
Devant un auditoire de plus de 100 personnes, le Dr. Gérard MARIN a exposé les aspects pratiques de l’euthanasie à domicile et en maison de repos : la demande, l’état du patient, les conditions de la procédure, les médicaments utilisés, le rôle des 2ème et 3ème médecins, les conditions de “confort” du patient et des soignants, l’entourage, les documents à remplir…
Il a expliqué qu’il est important d’avoir un projet thérapeutique clair et centré sur les besoins du patient et de ses proches car cela prévient les sentiments d’acharnement ou d’abandon thérapeutique et permet d’aborder avec sérénité et vérité les demandes d’euthanasie.
Avec beaucoup d’humanité, il a également partagé son expérience dans diverses situations de fin de vie, partage qui a suscité un vif intérêt chez les participants.
Atelier 2
Les difficultés de l’application de la loi sur le terrain, par Mme HERREMANS
Parmi les différents sujets abordés dans cet atelier :
La situation particulière des résidents de MR/MRS :
L’accueil lors d’une entrée en MR est primordial. Quelles questions pose-t-on au résident à son arrivée ? Y’a-t-il un projet thérapeutique ? Comment le définir ?
Il est important d’être attentif à respecter les volontés de chacun en posant les bonnes questions et en essayant d’être le plus précis possible.
La déclaration anticipée d’euthanasie :
Le cadre dans lequel la déclaration anticipée peut être appliquée a été rappelé.
La sédation terminale n’est pas une euthanasie :
Rappel des droits du patient : le patient doit être informé ou son proche, s’il n’est plus en état.
Le traitement doit répondre aux droits dont celui du consentement, ce qui n’est pas toujours le cas.
Pour pratiquer une euthanasie, on décide du moment et de la méthode, c.-à-d. par injection ou par voie orale. Cette dernière est moins utilisée, en raison des problèmes de déglutition.
Une sédation terminale contrôlée est moins dérangeante à pratiquer pour le médecin, celle-ci apparaitrait moins culpabilisante qu’une euthanasie.
Ceci dit, il faut sortir de l’idée qu’une sédation est plus facile à pratiquer.
La question des convictions personnelles et des choix individuels :
Le patient a le droit de demander l’euthanasie mais le médecin n’est pas obligé de la pratiquer, c’est le choix et le droit du médecin.
Ces mêmes choix existent pour le personnel soignant et pour les pharmaciens. Ainsi, le médecin doit informer le pharmacien que la prescription concerne une euthanasie. Si ce dernier ne souhaite pas préparer la prescription, il en informe un collègue qui prendra le relais.
La question des convictions religieuses :
Si la religion peut parfois poser problème, nous sommes toutefois dans un cheminement positif.
Il existe une complémentarité du respect et de la religion dans l’accompagnement des personnes dans la mort.
On observe une ouverture d’esprit par rapport à la thématique.
Conclusions :
Le manque d’informations sur le sujet persiste encore : il faut informer, poser des questions.
La formation des médecins n’est pas encore systématique.
Les questions de fin de vie et de mort doivent être au centre de la vie.
Il y a une réelle nécessité d’anticiper et de dialoguer.
Si vous vous posez des questions, il existe 4 consultations possibles : http://www.admd.be/medecins.html :
A l’Institut Bordet, 121, boulevard de Waterloo – Bruxelles
Au CHU Brugmann (Site Horta) – Bruxelles
Au CHR de la Citadelle, Boulevard du 12e de Ligne – Liège
A Wemmel (Périphérie Bruxelloise)
Atelier 3
L’euthanasie dans la relation familiale, par le Dr LOSSIGNOL
La famille peut être source de conflits. Les oppositions d’une famille quant à l’euthanasie d’un de leur proche peut être virulente. Et ce, pour différentes raisons :
– La famille ne veut pas voir mourir son parent (c’est un rejet du point de vue affectif )
– Des conflits familiaux peuvent se régler à ce moment-là
– Le sentiment de culpabilité des familles peut être important quant à cette prise de décision
La question que se posent souvent les soignants est la suivante : comment gérer les menaces des familles et ne pas leur laisser constituer un frein à l’action de l’euthanasie ?
L’équipe devrait idéalement avoir l’opportunité de soutenir la famille et d’expliquer le choix du patient. Si malgré cela, la famille reste opposée, il faut rappeler que le soignant peut outrepasser les volontés familiales pour le bien du patient.
On constate que les familles qui s’opposent à l’euthanasie le font pour les raisons décrites plus haut mais également parce que le patient n’en a généralement pas discuté avec sa famille. La famille doit alors accepter, dans des délais parfois très courts, l’annonce de la pathologie, de la dégradation et ensuite de l’euthanasie.
Plus le patient parle tôt de ses souhaits, mieux cela se déroule avec les familles.
Il n’existe pas de recette pour préparer sa famille, cela dépendra des relations tissées entre chaque membre de celle-ci ainsi que de son histoire. La meilleure chose à faire est de rassembler ses proches, de leur dire que ce n’est pas pour tout de suite mais que le jour venu, nous souhaitons l’euthanasie. Cela permet à tout le monde d’entendre la même chose au même moment et de dédramatiser. L’important est d’exprimer clairement : « voilà ce que je veux et ce que je ne veux pas ».
Anticiper permet d’éviter des situations confuses le moment venu et de diminuer le sentiment de culpabilité de la famille.
Atelier 4
Le rôle de l’équipe soignante, par Mme Ch. GILBERT, infirmière responsable de l’équipe soins palliatifs-continus, ULB-Erasme
Qui sont ces soignants dont le travail consiste à accompagner les personnes en demande d’euthanasie ? Si dans la dimension législative de l’euthanasie, le médecin conserve un rôle prédominant, dans la dimension relationnelle, c’est bel et bien les soignants qui sont au chevet de la personne en fin de vie. Ils l’aident dans les soins corporels, dans la gestion de ses douleurs physiques ou morales, lui servent ses repas, s’assurent qu’il dorme paisiblement la dernière nuit, échangent des regards, des sourires ou des souvenirs marquant de la vie… bref ils entretiennent des relations interpersonnelles significatives tant pour le patient que pour sa famille. Ils ne réalisent pas l’acte en tant que tel (administré par le médecin) mais veillent à ce que l’environnement de la chambre soit propice à accueillir la famille et conserver la dignité du patient. Nous retenons que ces aides-soignants et infirmiers donnent de leur personne, ils font preuve d’écoute et de compassion envers l’autre au quotidien. Ils méritent donc toute notre reconnaissance.
Atelier 5
L’euthanasie chez la personne atteinte de maladie neurodégénérative (Alzheimer…), par le Pr. J-M. THOMAS, département Médecine Générale, ULB
Cet atelier a été riche en discussions et en échanges sur l’enjeux de la prise en charge et sur l’ensemble de soins à apporter aux personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative. Les patients atteints de ces affections sont extrêmement nombreux dans les maisons de repos, et la maladie d’Alzheimer est la plus fréquente.
En raison de l’évolution démographique, le taux augmente au cours des années.
Selon la loi relative à l’euthanasie, le patient doit être capable et conscient au moment de sa demande. Est-ce que le patient atteint de la maladie d’Alzheimer est capable au moment de celle-ci?
Il en résulte que le patient doit parfois demander l’euthanasie précocement, pour être encore en état d’exprimer une telle demande.
L’évolution de la maladie d’Alzheimer suit 3 phases. La durée est généralement de 6 à 7 ans, mais peut être plus longue chez certaines personnes. La déclaration anticipée d’euthanasie n’est valable que si le patient est « irréversiblement inconscient ». La notion d’inconscience irréversible amène des discussions parmi les médecins car certains l’interprètent de façon plus restreinte. Certains malades, comme ceux au dernier stade de la maladie d’Alzheimer, ne sont pas considérés par tous les médecins comme étant dans un état d’inconscience irréversible.
Il est important d’aborder à l’entrée en maison de repos un projet de soins avec le résident. Ceci ne doit pas se résumer en « je souhaite ou je ne souhaite pas être réanimé » mais il doit être un plan de soins et de fin de vie. Ceci n’est pas toujours simple mais il est important de le faire bien avant que la fin de vie s’annonce.
Les informations dispensées tout au long de la journée ont permis de pallier le manque qui persiste encore, douze ans après l’adoption de la loi dépénalisant partiellement l’euthanasie.