Billet d’humeur : pas d’enfants, pas de cheveux blancs

J’ai écouté une émission radio sur la tendance “No kids” qui nous vient de Corée du Sud et remporte une large adhésion de sa population. Cette politique consiste à bannir les enfants de l’espace public : restaurants et hôtels réservés aux adultes – enfants et animaux de compagnie interdits.

 

Avec ou sans enfants, les témoignages des auditeur·ices se multiplient : untel pointe le manque d’éducation des parents, unetelle est en couple et adore ses enfants – bien sûr ! mais ne boude pas son plaisir de voyager solo ou d’assister à un mariage sans enfants, untel encore voudrait profiter de temps calmes dans la capitale désertée pour l’été mais voilà que les parcs sont pris d’assaut par des nappes à carreaux, bougies et gâteaux, guirlandes de fanions et éclats de rire.

 

L’enfant est « celui ou celle qui ne parle pas » – du latin « infans ». Iel est toléré·e auprès des adultes s’iel est sage et ne fait pas de bêtise. S’iel veut aller se défouler, c’est dehors…mais pas trop près des voitures, attention à ne pas courir trop vite, pas trop loin. L’espace urbain n’est pas pensé ni conçu pour les enfants, aussi bien dans ses espaces extérieurs qu’intérieurs – les tables à langer, quand elles existent, sont encore l’apanage des toilettes des femmes…

 

Mais, est-il seulement plus accueillant pour les adultes qui le peuplent, avec sa gueulante sonore et son dégueulis visuel ? On marche les yeux sur nos écrans, on trébuche sur un pavé défoncé, on respire un pot d’échappement, on tremble aux vibrations du marteau piqueur, on s’affole au feu qui devient rouge, on sursaute au coup de klaxon… Et on finit par enfouir nos oreilles sous le casque anti-bruit. Une bulle de calme. D’espace et de temps à soi. Nos sens seraient-ils à ce point saturés pour ne plus tolérer un éclat de voix qu’on ne pourrait mettre en sourdine ?

 

Au cours de l’émission, les invité·e·s ont répété, indigné·e·s : « si on commence par les enfants, c’est quoi la prochaine étape ? Interdire les rides et les cheveux blancs au restaurant ? » Parce que nous n’aurions pas envie de prendre un shot de vieillesse pendant que nous avalons notre petite pilule de jouvence à base de graines de chia et de collagène, sans lactose ni gluten et sans le goût de tout ce qui fait le sel de la vie ? Spoiler : en Corée du Sud, une petite poignée de cafés et restaurants refusent déjà l’accès aux plus de 60 ans – “No senior zone”. 

 

Déjà, je bous d’entendre ce rapprochement, quasi systématique, fait entre les jeunes enfants et les personnes âgées. L’enfance et la vieillesse sont deux périodes de vie distinctes et non le retour de la deuxième vers la première.

 

Et puis, l’envie de brouiller les ondes radio pour leur faire entendre que cette « prochaine étape » d’exclusion des personnes âgées n’est pas un scenario imaginaire mais bel et bien une réalité ordinaire ! Et que cette discrimination basée sur l’âge porte le nom d’âgisme !

 

Oui, les espaces physiques et temporels « réservés » aux un·e·s plutôt qu’aux autres existent. Et s’ils ne sont pas marqués par un panneau d’interdiction, ils n’en sont pas plus inclusifs : les plaines de jeux aux enfants, les salons de thé aux vieilles et aux vieux et les salles de fitness aux adultes ! Quelle personne « active » n’a jamais esquissé un rictus quand une autre plus âgée se pointe, à ses côtés, dès potron-minet le week-end, devant la superette du magasin ?

 

Notre organisation sociale ne facilite pas la rencontre des individus multiples qui la composent. Et, le tissu économique exacerbe ce cloisonnement : qui sont les « abonnements – trajets fréquents » ? qui sont les « tarifs réduits pendant les heures creuses » ? Des personnes qui ne se croiseront qu’en cas de très fortes perturbations.

 

La « prochaine étape » de discrimination des personnes âgées est déjà vécue quotidiennement par ces invisibles. Car la vieillesse est dite sage, silencieuse, respectueuse des bonnes normes d’agir ou de non-agir pour tenter de ne pas gêner les rouages performatifs capitalistes.

 

Désaturer. Décloisonner. Se rencontrer. Aucune forme de discrimination n’a sa place dans les espaces intimes et publics qui doivent être pensés et aménagés pour être accueillants pour chacun·e et pour tous·tes.

 

 

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