L’âge : quelle influence sur le devenir des médicaments sur notre organisme ?

Introduction

En pharmacologie, on utilise souvent les termes « pharmacocinétique » et « pharmacodynamie ». De manière simplifiée, on pourrait dire que la pharmacocinétique étudie le devenir des médicaments dans notre organisme (c. à d. ce que notre organisme fait aux médicaments). En revanche, la pharmacodynamie explore l’action que les médicaments exercent sur notre organisme (leur mécanisme d’action, leurs effets thérapeutiques, leurs effets secondaires, etc.).

La pharmacocinétique est parfois désignée sous le nom de « l’ADME » car elle comprend quatre grandes étapes : 

A : absorption (par voie orale, sous-cutanée, intramusculaire, intraveineuse, etc.). 
D : distribution (transport des médicaments au niveau sanguin suivi par leur diffusion dans les tissus).
M : métabolisme (transformation des médicaments, le plus souvent au niveau du foie).
E : élimination (les plus souvent par voie rénale -dans les urines- mais aussi par voie biliaire ou fécale).

Il se trouve que l’âge influence ces quatre étapes, entraînant des modifications qui sont en partie responsables de l’incidence plus élevée des effets indésirables des médicaments chez les seniors.

 

Voyons cela plus en détail

a) Absorption 
Avec l’âge, la vidange gastrique se ralentit. De ce fait, l’absorption des molécules administrées par voie orale et absorbées au niveau de l’estomac est améliorée, alors que l’absorption au niveau plus bas (intestinal) est retardée.

Par ailleurs, la sécrétion acide diminue au niveau de l’estomac. Ainsi, les molécules dont l’absorption nécessite un milieu acide, comme le fer, le calcium ou encore l’ampicilline (antibiotique), auront une absorption plus réduite, notamment en cas d’association à des médicaments qui augmentent le pH gastrique et diminuent encore plus l’acidité. 

Le vieillissement entraîne aussi une diminution de la motilité au niveau gastro-intestinal: notre estomac et nos intestins ont une moindre capacité de déplacer les aliments. Ce ralentissement du temps de transit favorise l’absorption des médicaments car il augmente le temps de contact. En revanche, le flux sanguin diminue, ce qui ralentit l’absorption de certaines molécules. Vous l’aurez compris, les modifications à ce niveau sont complexes et peuvent avoir de effets contraires.

Il faut savoir qu’une fois absorbés, certains médicaments subissent une première transformation au niveau du foie (premier passage hépatique) avant de passer à la circulation sanguine. La biodisponibilité des médicaments (proportion qui atteint la circulation sanguine) va dépendre de l’absorption et de la quantité éliminée par ce premier passage. Pour les médicaments à forte extraction hépatique, ce processus conduit le plus souvent à former des produits (métabolites) inactifs. Avec l’âge, la masse et le flux sanguin diminuent au niveau du foie, réduisant l’effet de ce premier passage et augmentant, par conséquent, la biodisponibilité des médicaments concernés par ce phénomène. 

La structure et la perfusion de la peau ainsi que des tissus sous-jacents sont aussi affectées par le vieillissement, ce qui peut conduire à une diminution de l’absorption des médicaments administrés par voies sous-cutanée et intramusculaire. 

b) Distribution
Le vieillissement s’associe aussi à une diminution de la concentration de la protéine la plus présente dans le sang (albumine) qui sert, entre autres, au transport d’un grand nombre de médicaments. 

D’autre part, la composition corporelle change avec l’âge : la masse adipeuse (graisseuse) augmente et la masse musculaire diminue. Ces altérations influencent la distribution des médicaments (c. à d. leur transport au niveau sanguin suivi par leur diffusion dans les tissus). 

Le volume de distribution des médicaments solubles dans l’eau (hydrosolubles) diminue, ce qui provoque une augmentation de leur concentration. C’est le cas, par exemple, du lithium, de la théophylline (bronchodilatateur) ou encore de la digoxine (utilisée dans le traitement de diverses affections du cœur). En revanche, le volume de distribution des produits liposolubles comme le diazépam (anxiolytique), l’amiodarone (antiarythmique) ou le vérapamil (utilisé aussi dans le traitement d’affections cardiaques) augmente et conduit ainsi à une diminution de leur concentration. Toutefois, ce mécanisme n’est pas sans risque car l’augmentation de la masse graisseuse favorise l’accumulation des médicaments liposolubles exposant à un effet prolongé sur l’organisme après l’arrêt du traitement.

c) Métabolisme
Le métabolisme des médicaments correspond à la transformation par des réactions enzymatiques (action de protéines) en métabolites, qui peuvent être actifs (comme les molécules originales) ou inactifs. Le métabolisme se fait principalement dans le foie par différentes étapes qui mènent à la formation de substances hydrosolubles qui facilitent leur élimination.

Quand l’élimination métabolique d’un médicament diminue chez les personnes âgées, il s’agit plus souvent d’une réduction de la perfusion hépatique (c. à d. que le foie est moins « alimenté » en nutriments et en oxygène) que d’une altération de l’activité enzymatique. En effet, la capacité du foie à éliminer du sang un médicament (clairance) dépend de sa perfusion. Quand on prend de l’âge, la masse et le flux sanguin hépatiques diminuent, ce qui s’accompagne d’une diminution de la clairance d’un grand nombre de médicaments et affecte l’élimination de ceux à forte extraction hépatique. C’est le cas du vérapamil, de la morphine, du propranolol (bêtabloquant) ou encore de certains antidépressifs comme l’imipramine et l’amitriptyline. Et c’est pourquoi chez les personnes âgées, on conseille souvent une réduction de dose pour ces médicaments.

La capacité du foie à métaboliser un grand nombre de médicaments diminue certes avec l’âge, mais cette réduction change d’un médicament à l’autre et dépend des variations interindividuelles comme des facteurs génétiques, des comorbidités (maladies) et de la polymédication.  

  • Rappelons ici que la polymédication se définit comme la prise quotidienne de plus de cinq médicaments différents par jour. On parle également de polymédication en présence d’un usage de médicaments non cliniquement indiqués (ou d’associations inappropriées).

d) Elimination
Les différentes étapes du métabolisme conduisent à la formation de substances hydrosolubles plus facilement éliminées par les milieux aqueux tels que l’urine, la bile, ou la salive.

La fonction rénale décline aussi avec l’âge : la masse et la perfusion rénale, mais aussi la capacité à concentrer les urines et à conserver l’eau se réduisent. La diminution du flux sanguin dans les reins et de la filtration glomérulaire (au niveau des petits vaisseaux) rend compte des principales altérations comme la diminution de la clairance et l’augmentation de la demi-vie (c. à d. le temps que met un médicament pour perdre la moitié de son activité pharmacologique). 

Quels qu’en soient les mécanismes, soulignons l’importance d’adapter la posologie (doses et fréquence de prises) des médicaments éliminés par voie rénale chez les seniors. En effet, l’administration d’un médicament à trop forte dose par rapport aux capacités d’élimination rénale expose aux risques de surdosage et d’effets toxiques.

Et le revers de la médaille ?

Pour terminer, consacrons quelques mots à la pharmacodynamie. Autrement dit, à ce que les médicaments font à notre organisme : 

Les médicaments interagissent préférentiellement avec des récepteurs sur nos cellules. De cette interaction découlent les effets pharmacologiques. Les récepteurs cellulaires sont des macromolécules qui possèdent une sorte de serrure (appelée « domaine »), complémentaire de la structure du médicament.

Globalement, les seniors semblent plus sensibles aux effets des médicaments que les adultes plus jeunes (par exemple, aux effets des benzodiazépines). Cette sensibilité peut être liée aux variations du nombre, de l’affinité et de la sensibilité des dits récepteurs.

Par ailleurs, certains systèmes de régulation fragilisés peuvent être très perturbés par certains médicaments. Le vieillissement s’associe, par exemple, à des troubles de l’équilibre et du contrôle postural. Les seniors compensent ces altérations par des petits mouvements correctifs déclenchés par le cerveau. Dans un article précédent, nous avions mentionné que des médicaments comme les somnifères et les calmants pouvaient avoir des effets sur l’état d’éveil et provoquer de la fatigue et de la somnolence. En effet, ils diminuent la vigilance et les réflexes et augmentent ainsi le risque de chute. Nous ajoutons aujourd’hui que ce type de molécules (comme le diazépam) peuvent perturber ces mécanismes compensateurs de mouvements correctifs et favoriser encore plus la survenue de chutes.

En guise de conclusion 

On constate chez les seniors une augmentation de la biodisponibilité, du volume de distribution et de la demi-vie de certains médicaments. On peut également observer une réduction de l’élimination médicamenteuse, notamment ceux à forte extraction hépatique. 

Néanmoins, les effets du vieillissement sont variables d’une personne à l’autre. Outre les variantes interindividuelles comme l’influence génétique, la présence de comorbidités ou le degré de fragilité, la polymédication a aussi un impact sur la métabolisation. Plus le nombre de médicaments consommés est élevé, plus il est compliqué d’éviter les interactions médicamenteuses et les effets indésirables. 

Il est ainsi question d’évaluer tant les bénéfices que les risques de chaque traitement et d’opter pour les prescriptions indispensables. Le choix de la meilleure intervention parmi les options existantes s’avère fondamentale. Et il va de soi que cette intervention doit être discutée entre médecin et patient·e, y compris les incertitudes sur le résultat attendu.  

La situation de crise sanitaire nous a souvent forcé ces derniers mois à reporter nos rendez-vous médicaux. Si vous n’avez pas consulté votre médecin depuis longtemps, il est peut-être temps de reprendre contact pour faire un bilan médical. C’est dans ce sens qu’il·elle pourra, entre autres, ajuster si besoin les doses des médicaments que vous prenez.

Insistons pour créer un réel partenariat avec notre médecin et impliquons-nous dans notre prise en charge ! 

Sources

  • BELMIN J. et al. Gériatrie pour le praticien. Effets préventifs de l’activité physique. Elsevier Masson, 2019 ; 82 : 751-758.
  • HANON O. et JEANDEL C. Prescriptions médicamenteuses adaptées aux personnes âgées. Le Guide P.A.P.A. Frison-Roche, 2017.
  • LANDRY Y. et GIES J-P. Pharmacologie. Des cibles à la thérapeutique. 3e édition. Dunod, 2014.

 Liages/Mara Barreto/300421

 

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