Cheveux blancs: injonction ou libération ?

Le billet de Béné – Mai 2023

Récemment, je me suis penchée sur la symbolique des cheveux qui grisonnent, chez les femmes. Ils me semblaient cristalliser, par les simples injonctions sociales à les teindre, l’idée âgiste que le vieillissement serait l’ennemi numéro un. L’idée qu’il n’est pas « juste » une période de la vie, avec ses forces, ses faiblesses, ses beautés et ses richesses, mais une caractéristique à cacher à tout prix. Nous vivons dans un monde ou il n’y a guère « des beautés », mais une seule : la jeunesse.

Ainsi, j’ai créé un projet afin de lancer cette discussion délicate : teindre ou ne pas teindre, telle est la question ! Je suis persuadée qu’il y a plusieurs raisons de se teindre la chevelure lorsqu’elle blanchit : peut-être est-ce le moment d’essayer cette couleur qui nous fait envie depuis l’adolescence, qu’on n’osait s’approprier par peur d’abîmer nos cheveux. Peut-être est-ce par libération et maturation : j’ai 50, 60, 70 ans… Que m’importe le regard des gens ? Va pour le rose fuchsia ! Mais, parfois, ce cap de la teinture est issu d’une simple injonction peu remise en question : les cheveux blancs, ça ne se porte pas, ça vieillit, ça se cache. Un peu comme, passé la trentaine, nous remplaçons nos crèmes hydratantes par des crèmes « anti-rides », sans y penser. Parce que c’est un passage obligé. Tous les magazines le disent.

J’ai pensé à mettre sur pied un label à destination des salons de coiffure. De prendre la discussion là ou elle est la plus à même de débuter : dans cette chaise, la serviette autour des épaules, à la question « alors, qu’est-ce qu’on fait ? ». Ce label veut amorcer une réflexion sur la complexité de la réponse qu’on pourrait donner à cette question. Il veut aborder la peur du regard de son ou sa coiffeur·euse, des autres, de ses enfants, de soi-même. La charte du label incite les salons de coiffure à discuter de ce choix avec les client·e·s en toute bienveillance. Rendre le choix de la teinture personnel et individuel. Il me semblait donc positif.

Pourtant, quand j’ai cherché l’avis de femmes seniors sur le sujet, elles n’ont été que peu convaincues. J’ai été assez chamboulée par le caractère défensif de leurs réponses : « je les teints parce que j’aime ça », « si on parle de la teinture, alors on devrait parler du maquillage, c’est le même système », « je ne voudrais pas qu’on me donne une injonction à garder des cheveux gris ». J’ai d’abord cherché à justifier le bien fondé de mon projet, à montrer patte… blanche. Puis j’ai réfléchi. Ce projet était-il une mauvaise idée ? Finalement, les réactions assertives de ces dames m’ont poussées à croire le contraire. Dans leurs réponses, j’ai retrouvé un peu la même attitude qu’un·e mangeur·se de viande face à un·e végan·e. La peur qu’on l’oblige à sonder son âme et sa conscience. A réfléchir au pourquoi du comment. Finalement, à questionner des certitudes sur pourquoi il ou elle fait ce qu’il ou elle fait.

Les baby-boomers sont difficiles à accrocher au wagon de l’anti-âgisme. Et je ne les blâme pas ! Comme le dit Marie Charrel dans Qui a peur des vieilles : « Les baby-boomers ont-ils un problème avec l’âge ? Pourquoi rejettent-ils avec une telle véhémence l’idée d’intégrer le cercle des cheveux blancs ? Probablement parce qu’ils constituent la première génération à jouir d’une aussi bonne santé une fois atteint l’âge de la retraite. Ils vieillissent moins vite que leurs aînés et vivront plus longtemps. Leurs propres parents, lorsqu’ils sont encore en vie, dépassent les 90 ans : à leurs yeux, ce sont eux, les vieux. Ce n’est pas un hasard si les baby-boomers sont aussi la première génération ciblée dans des proportions sans précédent par l’industrie de l’anti-âge […] ils affichent un pouvoir d’achat assez bon et sont devenus adultes dans les années 60, une époque où tout semblait possible. La jeunesse éternelle aussi ».

Après quelques adaptations, car toute critique est bonne à prendre, je décide de maintenir mon projet. Certainement pas dans l’optique de clamer que TOUT LE MONDE DEVRAIT GARDER SES CHEVEUX BLANCS. Les femmes subissent assez d’injonctions physiques au quotidien. Il ne faudrait pas en remplacer une par une autre sous couvert de libération. Mais parce que je clame que TOUT LE MONDE DEVRAIT S’APPROPRIER SON CORPS COMME IL OU ELLE L’ENTEND, SANS PRESSION EXTÉRIEURE. Parfois, cela demande de regarder au fond de soi et de comprendre ce qui nous pousse à faire tel ou tel choix : Nous-même ou un sexisme et un âgisme intégré ? Le maquillage, la mode, le régime alimentaire… nos choix sont rarement isolés de l’extérieur et c’est bien normal ! Nous sommes des êtres sociaux. Mais en quelle proportion ? Oui, ils seront toujours teintés de nos croyances et de discriminations intégrées. Espérons juste que ça ne soit que des mèches et pas tout le crâne.

Alors, garder ses cheveux blancs : une injonction ou une libération ? Par ce projet de label, j’aimerais que chacun·e trouve les ressources d’y apporter sa propre réponse. Il n’y en a pas de mauvaise.

 

 

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