“VIEILLIR : LE REGARD DE MANON & JULIE, CRÉATRICES DE LABANANE »

« ce sont les autres qui sont ma vieillesse » écrivait Jean-Paul Sartre. Et si on partait à la rencontre de ces autres qui façonnent les multiples facettes de notre vieillir ?

Je retrouve Manon et Julie dans l’arrière-salle d’un petit café trendy du quartier. La conversation va déjà bon train quand je démarre l’enregistrement :

« Quand on aborde nos ateliers de sensibilisation à l’âgisme, la première réaction des participant·e·s est souvent de dire « non, on n’est pas confronté·e·s à l’âgisme ». A l’aide de supports visuels et avec des angles d’approche variés comme le rapport au corps, la place des personne âgées dans la société, leur présence dans les médias, etc., on arrive à une discussion qui, elle-même, mène à une prise de conscience « ah peut-être que j’y suis effectivement confronté·e… ».

On commence toujours par la question « quel âge as-tu dans ta tête ? » et on emploie toujours le mot « vieux / vieille ». C’est super important, pour nous, toujours confrontant mais rarement un rejet total de la part des participant·e·s. Pourquoi est-ce un mot si péjoratif alors qu’on emploie le mot « jeune » sans toute cette lourdeur ?

Nos ateliers ont été réalisés dans des centres de jour, des écoles, des maisons de repos ou encore, via l’asbl Accolage, auprès de groupes de personnes âgées qui se connaissent déjà et se sentent donc à l’aise de parler. Et, ils se sont terminés par des capsules vidéo qui se voulaient être un support éducatif et de dialogue intergénérationnel, notamment dans les écoles dans lesquelles elles ont été présentées. L’idée était de parler d’âgisme avec les plus jeunes et de faire des parallèles entre celui qu’ils et elles ressentaient et celui vécu par les personnes âgées. Tous·tes portent des stéréotypes et les études disent bien que la seule manière de déconstruire les attitudes et les comportements âgistes c’est que les gens se rencontrent, se connaissent.

On aimerait se concentrer sur les rencontres intergénérationnelles mais c’est pas facile alors on essaie de sensibiliser chaque public selon ce qui prend le mieux : les vieux et les vieilles lors des ateliers qui les invitent à prendre conscience que l’âgisme existe et qu’ils et elles peuvent y être confronter. Ils et elles ont une vraie place dans la société et on leur donne la parole ici pour, à leur tour, sensibiliser les gens à l’extérieur. Et, pour toucher les jeunes, on utilise les réseaux sociaux, notamment notre compte Instagram labanane.bxl. »

labanane et vous :

« Julie bossait en maison de repos et, après le covid, on discutait beaucoup de la place des vieux et des vieilles dans la société, de l’isolement et de la solitude ressentie. On a, toutes les deux, des relations hyper riches avec nos grands-mères et on s’est rendue compte que ça nous avait apporté beaucoup pour devenir les personnes que l’on est aujourd’hui. On s’est dit « si cette rencontre avec une personne âgée est riche pour nous, pourquoi ne le serait-elle pas pour d’autres ? ». On a été étonnées du nombre de personnes qui nous racontait des histoires avec leur grands-parents…pas du tout positives ! Or, quand tu as une vision négative du vieillissement, tu as peur de vieillir et les conséquences sur le corps et la tête sont délétères. C’est fou, la vieillesse on y arrive tous·tes, on est des futur·e·s vieux et vieilles mais on est ok de se dire qu’on va être mis·e·s sur le banc de touche à un moment donné parce que c’est comme ça dans notre société.

Voilà les motivations derrière labanane qui porte ce nom parce qu’on voulait donner le sourire, changer l’image qu’on porte sur la vieillesse et parce qu’on fait des sacs bananes en matière recyclées ! On pensait que cet accessoire serait plus acheté par les jeunes et que, par ce biais, on pourrait les sensibiliser à l’âgisme, les faire rencontrer les générations plus âgées. Dans les faits, les deux publics ne se côtoient pas tant… d’où l’importance, pour nous, de communiquer sur les réseaux pour faire passer le message. Aujourd’hui, on tente d’articuler ce projet bénévole avec le reste de nos quotidiens car c’est un projet qui nous tient à cœur. »

les fiertés et les ambitions de labanane :

Valoriser la femme âgée est super important pour nous. L’an dernier, on a imaginé, en collaboration avec la marque de cosmétiques Makesenz, une campagne engagée  « Rayonner à tout âge » pour mettre en lumière les femmes âgées. Un atelier de discussion sur l’âgisme et le rapport au corps a eu lieu et un shooting photos pour montrer la beauté de toutes les femmes, quels que soient leur âge et leur culture.

A cette occasion et à d’autres, on a été marquées par le rapport au corps nouveau exprimé par ces femmes et qui dit « enfin libre ! ». Même chose avec les cheveux gris : en tant que femme qui vieillit, tu n’es plus sexualisée donc moins regardée ; la société ne te considère plus comme une « femme ». Si le regard de l’autre change, alors, tu en viens à faire attention à toi, non plus pour plaire à l’autre mais bien pour te plaire à toi. Bon…même en déconstruisant les idées sur les cheveux gris, quand tu y es confrontée personnellement, ben tu l’assumes pas tant que ça ! C’est pas évident de sortir de ces normes de beauté.

D’où l’idée, lors des séances photos, de faire des zooms sur des parties ridées. Plus on voit les choses, plus on les normalise et plus on voit de la beauté dans ce qui ne l’est pas « normalement ». Postons, sur les réseaux, des photos avec des cheveux blancs, des rides, la peau élastique pour doucement arrêter de se dire « cachez-moi ça ! ». Tiens, aussi dans les médias ou au cinéma, pour jouer une femme âgée, on demande à une femme de 40 ans que l’on vieillit…c’est pas ok, c’est pas représentatif de ce qu’est un corps de femme âgée.

On a pour projet, le 4 octobre de cette année, d’organiser une journée d’étude dédiée aux représentations et perceptions du vieillissement dans notre société. L’objectif est de transformer le regard porté sur le vieillissement, de déconstruire les stéréotypes et d’offrir une image positive de l’âge. (Gardez l’œil ouvert, le détail de cette journée sera communiqué prochainement sur le site et l’Instagram de labanane !)

Et puis, une autre piste à explorer : celle d’un podcast où l’on rencontrerait des vieux, des vieilles et des expert·e·s pour une discussion. On n’a pas encore réussi à s’accorder sur ce qu’on veut et comment se démarquer de ce qui se fait déjà. A suivre ! »

Si la vieillesse était une couleur / un objet, ce serait…

« Pour la couleur, on est toutes les deux d’accord sur le jaune pour labanane, le soleil, la joie, le positif !

Et pour l’objet, ce serait, pour moi, une bague pour le coté transmission de famille en famille. En fait, je pense à celle que ma grand-mère a toujours porté et qui appartenait à sa maman ; à travers cette bague, je vois plein d’images de sa vie.

Moi, j’imagine une cafetière qui fume. T’es là, en train de discuter, le temps passe lentement, un petit rayon de soleil passe par la fenêtre… bref, un moment réconfortant ! »

Nos trois cafés latte encore chauds il y a une heure et demie auront, en effet, mené à ce moment réconfortant, riche en partage d’idées, de réflexions, de convictions et d’engagements présents et à venir ! Merci !

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